Chers frères et sœurs,

En ce jour où les chrétiens fêtent dans le monde entier la naissance qu’ils appellent, avec le prophète Isaïe : le Prince de la Paix ; sur la terre même où cet enfant est né, a grandi, a vécu, est mort, est ressuscité… sur cette terre même, coule le sang meurtrier d’hommes, de femmes et d’enfants, et où résonne aujourd’hui encore la vérité de cette parole du prophète Jérémie, que nous entendrons dans trois jours en la fête des Saints Innocents : « Une voix dans Rama s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte ; c’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée parce qu’ils ne sont plus ».

Cela a-t-il du sens de fêter en ce jour le Prince de la Paix, alors que sur la terre où il est né, Abel et Caïn continuent de s’entretuer ? Nous, chrétiens, nous répondons : oui, cela a du sens, et plus que jamais ! Car si ce ne sont pas, frères et sœurs, les chrétiens qui aujourd’hui redisent les paroles du Prince de la Paix prononcées sur le Mont Tabor : « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ; heureux ceux qui font œuvre de paix, ils seront appelés « fils de Dieu ». Si ce ne sont pas les chrétiens qui, sur les ruines de la violence qui se déchaîne, disent ses paroles, qui les dira ?

Parce que, nous nous efforçons de voir le monde en toutes ses réalités, y compris les réalités les plus désarmantes, avec les yeux de la foi ; et de vivre de la foi, en marchant comme en voyant l’invisible, comme dit d’Abraham, l’auteur de la lettre aux Hébreux. Et la foi, frères et sœurs, est le moteur de l’espérance ; l’espérance dont Bernanos disait que sa plus haute forme, c’est le désespoir surmonté ; l’espérance dont son contemporain, Péguy, disait que : « Elle est la chose au monde qui étonne le plus Dieu… Cette espérance, je cite Péguy, qui est venue au monde le jour de Noël ; c’est elle, cette petite fille, qui entraîne tout ».

La foi dans la bible, frères et sœurs, c’est toujours cela, qu’on pourrait résumer par cette expression lapidaire : « sur fond de ruines, le salut ». Le salut non seulement pour les chrétiens mais pour tous les hommes ; ce que dit le Credo que nous proclamerons dans un instant : « Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel ; Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme ». Voir le monde avec les yeux de l’espérance, c’est cela la foi chrétienne. L’espérance qui n’est pas, dit encore Bernanos, l’optimisme qui est, selon lui, une manière de se désolidariser du malheur d’autrui. L’espérance : une vertu – virtus (force d’âme, bravoure) – une détermination héroïque de l’âme.

Nous célébrons cette année le huitième centenaire de la première création de la crèche à Greccio par saint François d’Assise. La crèche de nos jours qui s’est peut-être éloignée de ce qu’elle représentait pour saint François.

Elle est devenue une forme d’art ou de décor qui risque de nous faire oublier sa signification mystique ; mais toutefois la crèche continue de remplir aujourd’hui encore sa fonction de signe – même si elle est contestée à droite et à gauche.

Elle nous rappelle qu’il nous faut aménager une crèche différente pour Jésus : une crèche du cœur ! Comme le disait si bien un auteur du moyen âge : « Quand bien même le Christ naîtrait mille fois à Bethléem, s’il ne nait pas aujourd’hui dans ton cœur, cela ne sert de rien ! ».

Donner naissance à Jésus, frères et sœurs, signifie : faire mourir son propre moi, ou du moins renouveler la décision de ne plus vivre pour nous-mêmes, mais pour Celui qui est né, est mort et est ressuscité pour nous. « Là où naît Dieu, l’homme meurt » affirmait l’existentialisme athée… c’est vrai ! Cependant, c’est bien le vieil homme qui meurt, corrompu et destiné de toute façon à finir par la mort ; tandis que ce qui naît aujourd’hui avec Noël, c’est l’homme nouveau créé, comme dit Paul, dans la justice et la sainteté, et destiné à la vie éternelle.

« Pour que les hommes puissent naître de Dieu, Dieu est d’abord né d’entre les hommes ; il a voulu naître d’entre les hommes pour que chacun de nous ait l’assurance de naitre nous-mêmes de Dieu » ; St Augustin

Naître de Dieu, dans un monde où il nous paraît souvent que les ténèbres du Mal éteignent la petite lumière de Noël. Mais non ! Cette petite lumière de Bethléem a triomphé pour toujours des ténèbres, quand le Christ au jour de la résurrection a soufflé son Esprit Saint sur la Pentecôte. Cette petite lumière de Bethléem ne peut pas s’éteindre.

Plus que jamais nous redisons avec le psalmiste cette prière de Sion : « Que le Seigneur te bénisse, tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie ».

Oui : Shalom sur Israël ; Shalom sur toute la terre sainte ; Shalom sur tous les pays en guerre ; Shalom dans notre pays ; Shalom dans nos familles ; Shalom au plus profond de nos cœurs.

Amen !

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