Homélie du jeudi Saint – Jeudi 14 avril 2022 – Année C

Par le Frère Jean

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Pourquoi st Jean, dans le récit de la dernière Cène, ne parle-t-il pas de l’institution de l’Eucharistie mais évoque, en lieu et place, le « Lavement des pieds » que nous venons d’entendre. Alors qu’il avait consacré un chapitre entier, le chapitre VI, à préparer les disciples à manger sa chair et à boire son sang !

La raison en est que dans tout ce qui concerne Pâques et l’Eucharistie, Jean veut davantage souligner l’évènement plus que le sacrement, c’est-à-dire davantage le ‘signifié’ que le signe lui-même. Pour Jean, la nouvelle Pâque ne commence pas tant au Cénacle, lorsque le rite qui doit la commémorer est institué (on sait que la Cène en st Jean n’est pas une cène pascale telle que les Juifs la pratiquaient), il commence plutôt sur la Croix lorsque le fait, qui va être commémoré, s’accomplit. C’est là que s’opère le passage de la Pâque ancienne à la Pâque nouvelle. Jean souligne que Jésus sur la Croix n’a aucun os brisé car cela était prescrit pour l’agneau pascal de l’Exode.

Il est important de bien comprendre le sens qu’a pour Jean le geste du « lavement des pieds ». Nous sommes devant un de ces épisodes – comme celui du côté transpercé de Jésus sur la Croix – où l’apôtre nous fait clairement comprendre qu’il se cache ici un mystère, bien au-delà du fait contingent qui pourrait en lui-même ne présenter qu’un intérêt limité.

« Moi, dit Jésus, je vous ai donné l’exemple ».

Quel exemple ? Devons-nous nous laver les pieds, au sens littéral du terme, les uns les autres, quand on passe à table ? Pas seulement cela ! La réponse est dans l’évangile, de la bouche de Jésus lui-même : « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; celui qui veut être parmi vous le premier, sera l’esclave de tous ; car le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ».

C’est précisément dans le contexte du dernier repas, que Luc rapporte une parole de Jésus qu’on dirait prononcée à la fin du « lavement des pieds » : quel est en effet le plus grand ? Celui qui est à table ou celui qui sert ? N’est-ce-pas celui qui est à table ?

« Et bien, moi je suis au milieu de vous comme celui qui sert » : Jésus aurait dit cette parole suite à la querelle des apôtres, où on les voit se disputer pour savoir quel était le plus grand parmi eux ; Jésus leur dit précisément la réponse par ce « lavement des pieds ».

Dans cet épisode du « lavement des pieds », Jésus a voulu en quelque sorte rassembler tout le sens de sa vie, pour le fixer dans la mémoire de ses disciples. Comme dit un adage : les actes valent plus que les paroles ! Un jour, ils comprendraient !

« Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant, tu ne le comprends pas maintenant » dit Jésus à Pierre… « Plus tard tu le comprendras ».

Ce geste de Jésus lavant les pieds de ces apôtres, nous dit que sa vie du début jusqu’à la fin, fut un continuel « lavement des pieds » au service des hommes ; elle fut – pour employer un langage contemporain – une pro-existence, une existence vécue pour le bonheur des autres ; sa vie dépensée pour les autres fut une vie « pain rompu pour le monde ».

En disant : « Faites, vous aussi, comme moi j’ai agi », Jésus institue la diakonia, c’est-à-dire le service, en l’élevant au titre de loi fondamentale ; ou mieux : de style de vie et de modèle pour toutes les relations dans l’Église.

C’est comme s’il disait, à propos du « lavement des pieds », ce qu’il dit en instituant l’Eucharistie : « Faites ceci en mémoire de moi ».

Pendant tout un temps, dans la tradition de l’Église (c’est remis en honneur heureusement aujourd’hui), le geste du « lavement des pieds » était considéré comme un sacrement. Les sacrements n’étaient pas simplement les sept sacrements que nous connaissons aujourd’hui : le « lavement des pieds », acte d’amour, était, est élevé par Jésus au niveau d’un sacrement.

Aujourd’hui, tout le monde parle de service : le commerçant est au service de ses clients ; on dit de tous ceux qui exercent une fonction sociale, qu’ils rendent service ou qu’ils sont « de service ».

Le service dont parle l’Évangile est tout autre chose (ni si en soi il ne disqualifie pas le service tel qu’on l’entend dans le monde).

La différence est toute entière dans les motivations et l’attitude intérieure qui portent à rendre service. Le service en langage chrétien tel que nous l’enseigne Jésus, n’est pas une vertu mais il trouve sa source dans les vertus : dans la charité en premier lieu ; il est alors l’expression la plus noble du commandement nouveau. Il est une manifestation de l’agapè : de cet amour qui ne cherche pas son intérêt ; c’est une participation et une imitation de l’agir de Dieu, qui, parce qu’il est le Bien, tout le Bien, le Bien suprême, ne peut aimer et faire le bien que dans la gratuité sans aucun intérêt propre.

Avant de conclure, frères et sœurs, rappelons-nous la parole de Jésus : sachant cela, heureux êtes-vous si vous le faites !

Nous aussi, nous serons bénis si nous ne nous contentons pas de savoir ces choses : à savoir que l’Eucharistie pousse au service et au partage… mais si nous les mettons en pratique, si possible, dès aujourd’hui.

L’Eucharistie n’est pas seulement un mystère à consacrer, à recevoir et à adorer, mais il est aussi un mystère à imiter.

Amen !

 

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