Homélie du dimanche 9 février 2020

5ème Dimanche du temps Ordinaire – Année A

Par le Frère Jean

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur – Le style oral a été conservé

 

Chers frères et sœurs,

Tous ceux qui pour une raison ou pour une autre doivent s’abstenir de sel dans leur nourriture, savent d’expérience ce que cela signifie « manger sans sel ». Et ceux qui sont privés de la lumière naturelle du soleil, pensons aux prisonniers sous toutes les latitudes, mais aussi à ceux dont la Sainte Écriture dit dans le Cantique de Zacharie qu’ils « vivent dans les ténèbres et à l’ombre de la mort ». Tous ceux-là savent aussi combien est cruelle l’absence de lumière, non seulement au point de vue physique mais aussi morale et spirituelle : l’absence de lumière dans l’âme, dans la vie intérieure.

Le sel et la lumière. De ces deux mots Jésus va faire le paradigme d’une vie réellement à son école. On pourrait traduire littéralement le texte de l’Évangile par « vous »« vous êtes le sel de la terre ». « Vous » dit le texte grec, « vous êtes la lumière du monde ».

Jésus ne dit pas « vous serez le sel de la terre ; vous serez la lumière du monde » mais « vous êtes… vous êtes déjà ».

Et vous l’êtes par le sacrement que nous avons tous reçu, le sacrement de baptême, qui était nommé dans l’Église primitive comme le sacrement de l’illumination ; le sacrement de baptême qui a fait de chacun de nous « des enfants de lumière », pour reprendre la belle expression de St Paul.

Dans l’ancien rite du baptême (lorsque je dis ancien, je veux dire avant la réforme du Concile Vatican II) on utilisait le sel parmi les onctions qui étaient faites sur le corps de l’enfant : pour rappeler que cet enfant qui allait être baptisé, était, devenait par le baptême, le sel de la terre.

– Ce que le pape Benoit XVI nous a rappelé il y a quelques années, dans un beau livre interview intitulé « Le sel de la terre », précisément.

Dès les premiers versets de son Évangile, St Jean nous dit, dans son Prologue, que « le Verbe de Dieu était la vie et que la vie était la lumière des hommes ». Il est significatif, frères et sœurs, que Jean place ici la vie avant la lumière. Vouloir tout comprendre avant d’agir, et de faire, revient à penser que la lumière est avant la vie. C’est oublier que la puissance de l’Esprit Saint, qui travaille en nous, nous pousse à nous donner sans mesure ; car c’est peu à peu, dans la vie spirituelle, que nous recevons la lumière ; au fur et à mesure du don de nous-mêmes ; et si nous attendions d’avoir la pleine lumière avant d’agir et de faire le bien, nous risquerions de passer notre vie à attendre…

« Conduis-moi, douce Lumière, à travers les ténèbres qui m’encerclent » priait St John Henry Newman, « conduis-moi, Seigneur, toujours plus avant. Je ne demande pas voir déjà ce qu’on doit voir là-bas ; un seul pas à la fois, c’est bien assez pour moi ».

Cela va à l’encontre de notre société technologique qui veut tout maitriser, tout comprendre, vivant dans l’illusion que l’homme est maitre en tout de son destin, qu’il peut tout comprendre, au nom d’une conception néo-païenne de l’homme et de sa destinée. Or, pour nous qui tachons de vivre en disciples du Christ, nous savons et nous croyons que la lumière, sur notre destinée, vient d’ailleurs.

La lumière de Dieu, la douce lumière de Dieu dont nous parlent les psaumes, est une lumière qui ne s’impose pas. Elle sait aussi s’accommoder, ne serait-ce qu’un temps, de la ténèbre. Le prophète Isaïe, que nous avons entendu dans la première lecture, le prophétisait – je le cite :

« Ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi ».

Oui, ténèbres et lumière dans notre vie chrétienne ici-bas, marchent ensemble.

Si nous naissons par le baptême à la vie nouvelle dans le Christ-Lumière, nous faisons l’expérience douloureuse mais réelle, que le combat contre les ténèbres ne nous lâche pas tant que nous cheminons ici-bas. Ce combat fait partie de la voie chrétienne. Et ce combat est une chance pour nous.

C’est une illusion que de croire que la plénitude de la lumière divine peut être saisie dès ici-bas.

En ce monde, nous la trouvons partiellement dans le clair-obscur de la foi ; demain dans le Royaume, c’est elle qui nous enveloppera dans la clarté sans fin.

Marchons dans la lumière ; oui ! Comme Jean-Baptiste, qui nous a accompagnés durant tout ce temps de Noël et de l’Avent, a marché sa vie durant à la lumière du Christ. Et c’est en marchant dans la lumière du Christ et de l’Évangile, que peu à peu, cette lumière venue d’en haut, qui n’est autre que la vie dans l’Esprit Saint, nous modèle, peu à peu, en enfant de lumière.

J’aime me souvenir que la dernière Parole commentée par St Bernard dans son célèbre commentaire du Cantique des Cantiques – avant que la mort n’interrompe son commentaire – s’arrête sur ce verset de St Paul qu’il avait commencé à écrire : « Marchons en enfants de lumière ».

Si les enfants de lumière que nous sommes devenus par le baptême peuvent défaillir – et nous en faisons tous l’expérience – la lumière dont nous sommes porteurs et que nous avons reçue au baptême, elle, ne peut pas s’éteindre ! Elle ne peut défaillir.

Et c’est là, frères et sœurs, notre espérance ! Ce que disaient nos pères dans la foi, les pères de l’Église, lorsque commentant le verset de la Genèse, disant que « Dieu créé l’homme et la femme à son image et à sa ressemblance » : « L’image de Dieu en nous, reçue à l’heure de notre création par Dieu, est inamissible (c’est-à-dire, qu’on ne peut pas la perdre) ; rien ne peut la faire disparaitre ; mais la ressemblance avec Dieu, nous l’acquérons au fil des temps par le labeur de la vie spirituelle ».

Une vie chrétienne qui n’aurait pas de labeur, qui n’aurait pas de combat, ne serait pas une véritable vie chrétienne. Être créé à l’image de Dieu ne signifie pas que nous avons été lancés dans le cosmos par Dieu, avec une chiquenaude initiale qui nous projetterait comme une étoile dans le monde… étoile destinée à briller un temps avant de s’éteindre… Non… Mais bien d’accueillir au long des jours, habités par l’Esprit d’Amour de Jésus, dans la faiblesse de notre corps et de notre esprit, la lumière du Christ pour laquelle nous sommes faits ; car nous sommes faits, frères et sœurs,  pour la lumière ; nous sommes enfants de lumière.

St Paul – nous l’avons entendu dans la deuxième Lecture – le disait aux Corinthiens : « Je suis arrivé chez vous mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient en moi »dans le vase d’argile que je suis. Bienheureux vases d’argile, frères et sœurs, que nous sommes tous !

« Marchons en enfants de lumière dans la joie de la grâce illuminante » nous dit l’un de nos pères de Cîteaux. Alors notre vie aura la saveur de l’Évangile dont le sel est l’image et la clarté de la lumière déifique.

« Je n’apercevais rien pour me guider » écrit St Jean de la Croix « que la lumière qui brulait dans mon cœur. Elle me guidait plus surement que la lumière de midi au but où m’attendait Celui que j’aimais, là où nul autre ne se voyait ».

Oui, elle est vraie cette Parole que Jésus a crié sur le parvis du Temple à la fin de la fête des Tentes, à la Pentecôte : « Je suis la lumière du monde, celui qui vient à ma suite ne marche pas dans les ténèbres, il aura la lumière qui conduit à la vie » ; la vraie Vie, la vie de Jésus ressuscité,

Amen !

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