Chers frères et sœurs,
Nous savons tous qu’au tout début de son ministère Jésus choisit et appela ses premiers disciples à le suivre, pour former la petite fraternité de base qui l’accompagnera durant tout son ministère. Ce seront les apôtres qui constitueront en quelque sorte le fondement, la première assise de pierres spirituelles sur lesquelles se construira un peu plus tard l’édifice de l’Église après la Pentecôte. En un second moment – et nous le savons moins qu’après les premières annonces de la Passion à ses apôtres et pendant sa longue montée vers Jérusalem – Jésus ouvre à tous l’invitation à la conversion au Dieu d’Abraham et à la reconnaissance de sa messianité. Ce nouvel appel, Il l’adresse non plus seulement aux apôtres, mais comme nous le voyons ici, à tous ceux qui l’écoutent et souhaitent avoir part au Royaume des cieux, ce Royaume dont Il proclame dès maintenant en sa personne l’avènement.
L’invitation à suivre le Christ se renouvelle et s’élargit donc aux foules, et à nous-mêmes qui percevons à travers ses miracles et ses paroles rapportés dans les évangiles, l’authenticité de son message de salut. Or cette invitation apparait presque aussi exigeante que l’appel qu’Il adressait à ses apôtres ! Il se caractérise par un renoncement général, à ce qu’on pourrait appeler : aux avantages et aux profits de ce monde, sa culture, sa mondanité, qui semble-t-il pour Jésus ici, pourraient endormir et enchainer son disciple. Jésus ose dire en effet que celui qui veut être son disciple doit « Le préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, à ses frères et sœurs et jusqu’à sa propre vie » … et Il ajoute encore d’une manière plus générale « Celui qui ne porte pas sa croix ne peut pas être mon disciple ». Cette exhortation au renoncement drastique semblable aux apôtres, ne doit pas cependant être prise trop à la lettre, mais bien plutôt de façon figurée, car comme dans beaucoup d’autres exhortations, le Seigneur en pédagogue averti, s’exprime en images saillantes qui frappent l’oreille, telles par exemple dans un autre contexte : « si ta main t’entraine à pécher, coupe la ». Quoi de plus radical !
Ainsi tous les sympathisants du Christ seraient contraints sans aucun doute à se mutiler, ou bien à se falsifier, ou bien plus simplement encore … à embrasser la vie monastique !
Jésus entend, à travers cette façon de parler comparable à celles des prophètes, inculquer à qui veut Le suivre, la nécessité d’opérer une réflexion, une conversion d’esprit et de mentalité, qui oblige à s’orienter plus directement en conscience vers la finalité théologale de la vie. Alors il sera possible avec la grâce, d’entrainer une modification profonde de ses comportements. Pour dire bref : il s’agit de ne rien préférer à Dieu ! Rien ne devrait entrer en concurrence avec Dieu, quoique l’égo de beaucoup puisse y rechigner. Celui qui a renoncé à tout pour l’amour de Dieu, doit être au-delà de tout calcul. S’il garde les yeux établis sur un compromis de sa raison naturelle, il ne sera plus le compagnon du maître, et alors comme Jésus le souhaite un peu plus loin, il ne pourra pas achever sa construction avec Lui, et il ne gagnera pas la guerre contre le mal, naguère entreprise sur son conseil.
Le renoncement imposé ne demande pas d’aimer moins mais d’aimer autrement dans l’amour même du Christ : « dans et par toute sa vie », selon la recommandation de la Loi déjà formulée dans l’Ancien Testament au Livre du Deutéronome : « d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de son esprit », commandement réitéré d’ailleurs dans l’évangile par le Seigneur lui-même, lors d’une controverse avec un docteur de la loi, et qui sera alors complété par le commandement de l’amour du prochain.
Celui qui adhère à la parole de Dieu proposée par le Christ doit se considérer dans la foi, comme membre engagé et participant de son Mystère médiateur et rédempteur. Quitter tout pour Dieu est désormais possible pour celui qui s’appuie sur la présence de l’Esprit Saint en lui, le Seigneur n’a-t-Il pas promis qu’il lui serait remis au centuple ! L’opposition en définitive n’est qu’apparente parce qu’en quittant tout pour Dieu, on ne perd rien … car comme Lui-même l’a proclamé ailleurs « à une femme qui félicitait celle qui l’avait enfanté », le Christ est pour chacun de nous : « un père, une mère, un frère, un époux ». Tout tient finalement à l’exercice de notre raison, illuminée par la lumière de la foi qui ordonne, hiérarchise et finalise en nous dans le rayonnement de la divine sagesse, les différentes formes de l’amour que nous portons envers ceux qui nous entourent !
C’est au nom de l’amour divin en effet que Dieu veut nous donner part à sa propre vie, sa lumière et sa vérité. Dieu « ne passe-t-Il pas Lui-même » en nous ! Puisque comme le dit Saint Augustin : « Il est plus intime à nous-mêmes, que nous le sommes à nous… »
La foi et l’amour doivent ainsi faciliter « notre préférence » que nous devons témoigner à Jésus durant notre pèlerinage ; pèlerinage qui devient par notre marche à sa suite, un vrai compagnonnage assuré, pour construire et combattre avec Lui, avec prudence selon les circonstances du temps ici-bas de l’Église, une petite part de son temple sacré encore invisible. Que Dieu en soit béni !



