Chers frères et sœurs,

Nous l’avons entendu : le prophète Jérémie, fatigué, d’avoir à proclamer la Parole de Dieu, « parce que, dit-il, à longueur de journée la Parole du Seigneur attire sur moi l’injure et la moquerie ». Malgré tout Jérémie continue sa mission de prophète proclamant ce que Dieu lui dit de proclamer à temps et à contre temps ; car cette Parole de Dieu le brule intérieurement. Nous l’avons entendu : « Il y avait en moi comme un feu dévorant au plus profond de mon être ; je m’épuisais à le maitriser sans y réussir ».

C’est ce feu dévorant de l’Esprit Saint que st Jean de la Croix chantait en ces termes : « O’ flamme d’amour, vive flamme qui me blesse si tendrement au plus profond centre de mon âme ». Ce feu dévorant  dont st Bernard écrit qu’il consume sans causer de tourments, et que son ardeur est douce, et son ravage, bienheureux.

Cette passion de la Parole de Dieu en Jérémie. Passion dans tous les sens du terme : passion de faire la volonté de Dieu qui le pousse à parler, mais passion aussi au sens que cette Parole divine bouscule Jérémie jusqu’à l’accabler : « Je me disais : je ne penserai plus à Lui, je ne parlerai plus en son Nom ».

Cette expérience de Jérémie, brulé, bousculé par la Parole, se poursuit depuis les origines de l’Église dans le peuple de Dieu en tous ceux et celles qui se mettent au service du Seigneur, d’une façon ou d’une autre. Si nous pouvons dire aujourd’hui quelque chose de Dieu, connaitre quelque chose du visage que Dieu nous révèle en son Fils bien aimé Jésus, c’est bien parce que, avant nous, des générations d’hommes et de femmes, à commencer par l’Église, par notre famille, par nos éducateurs, nous ont transmis ce feu dévorant :

« Il y avait en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être ».

Nous pouvons nous interroger et nous demander si le feu de Dieu reçu au baptême et dans le sacrement de confirmation est toujours en nous un feu qui dévore, ou bien une braise qui végète sous la cendre. Car le jour où la foi chrétienne n’est plus ressentie, et encore plus, transmise comme un feu dévorant, alors on peut dire que le christianisme est en danger. Lorsqu’on sent dans l’Église que celui qui exerce une charge ne vit plus auprès du Feu mais se contente de raconter que le feu existe, alors le signal d’alarme doit s’allumer !

Oui, le grand problème de la foi dans le monde aujourd’hui, c’est probablement celui de la transmission. À l’origine de ce mot « transmettre », il y a en latin le mot « traditio », tradition. Ce mot de « tradition » fait référence au Christ dans le Nouveau Testament, qui par sa passion s’offre au Père pour le Salut du monde. Nous l’entendons dans chaque messe, quand le prêtre dit les paroles du récit de l’institution de l’Eucharistie, au moment d’être livré – traditus ; et bien, l’Église est appelée à transmettre la foi à la suite du Christ qui se livre à son Père.

Alors on comprend l’écho de ces paroles en Jérémie dans l’évangile de ce jour, « ce feu qui le dévore », le feu de la vie divine passe dans la nouvelle Alliance par l’offrande douloureuse de Jésus en sa passion. « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

On sait que lorsque Jésus a prononcé ces paroles dans l’évangile, ou d’autres semblables, les rangs de ceux qui le suivaient se sont rapidement éclaircis. Par exemple, après la multiplication des pains lorsque Jésus a parlé de son corps et de son sang qu’il fallait manger et boire, l’évangéliste Jean écrit : « à partir de ce moment-là, beaucoup de ses disciples se retiraient et cessaient de faire route avec lui ». Cette Parole nous interpelle.

Il ne faut pas s’étonner de ce que la transmission de la foi soit une chose difficile, parce qu’elle ne va pas dans le sens de ce que le monde adule. Nous l’avons entendu de la bouche de st Paul dans la deuxième lecture : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais offrez votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu ». Pas de transmission de la foi sans soi-même prendre, à la suite du Christ, notre croix.

Mais ne voir que la croix et l’épreuve dans la foi chrétienne serait une vue partielle de ce qu’est la foi en réalité. Car la foi, frères et sœurs, il est important de le redire avec insistance, est dans sa finalité un chemin de bonheur, mais non pas d’un bonheur au sens mondain du terme qui satisferait les désirs les plus naturels de l’homme, un bonheur dont st Augustin dit que l’homme le désire même quand il vit d’une manière telle qu’il rend le bonheur impossible. L’homme est fait pour le bonheur, et Dieu, depuis le jour de la Genèse de l’homme, n’a jamais repris ni retiré sa promesse de bonheur. Il aura fallu du temps aux apôtres, et en final le Don de l’Esprit Saint qu’ils reçoivent à la Pentecôte, pour comprendre que la voie sur laquelle Jésus de Nazareth les avait entrainés, était la voie qui répondait aux aspirations les plus profondes de l’homme en quête de plénitude.

St Pierre au lendemain de la Pentecôte le redira avec force : « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en Jésus car il n’y a sous le ciel aucun autre nom offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut ». Le salut qui est offert par Jésus n’est pas à la mesure du désir de l’homme. L’Évangile ne vient pas à nous comme une parole qui confère un statut, ou une identité sociale ; il n’est pas non plus une parole qui fait faire l’économie des limites, des souffrances, voire de la mort ; le salut annoncé par Jésus est réalisé par sa mort et par sa résurrection.

« L’homme a des endroits de son pauvre cœur qui n’existent pas encore, et où la douleur entre, afin qu’ils soient» écrivait Léon Bloy. « Douce douleur » dira st Jean de la Croix… « Douleur qui brule et qui, à la fois, apaise »

St Augustin, l’évêque d’Hippone nous dit : « Nous sommes dans un monde qui est saint, qui est bon, réconcilié, sauvé, ou plutôt à sauver ; mais sauvé dès maintenant en espérance car nous avons été sauvés… mais en espérance. Dans ce monde, donc, c’est-à-dire dans l’Église, qui toute entière suit le Christ, il dit à tous : « celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même ».

Nous recevons à nouveau cette parole exigeante de ce jour, non pas comme une parole traçant un idéal insurmontable à atteindre et fait pour une élite – l’Église est tout le contraire d’un rassemblement, d’une élite – mais cette parole exigeante nous est donnée comme une béatitude ; c’est-à-dire comme un Don du Seigneur à saisir pour aller plus loin.

L’un de nos Pères dans la vie monastique, Abba Moïse, au IVe siècle, disait qu’on ne peut entrer dans l’armée du Christ si l’on ne devient tout entier comme un Feu !

Ce Feu de l’Esprit Saint, ce feu qui dévore, qui brule et qui console, nous le demandons pour tous les hommes de notre temps, particulièrement pour tous les baptisés que nous sommes.

Que l’Église chargée de le transmettre soit, elle-même, toujours enflammée de ce Feu. « Qui est à mes côtés, est au côté du feu » disait Jésus dans une parole rapportée par Origène.

Que ce Feu de l’amour de Dieu, répandu par l’Esprit Saint, que nous avons reçu au baptême, et qui continue d’enflammer le monde, au milieu des heurs et des malheurs de notre monde, que ce Feu de l’amour de Dieu nous habite toujours plus, nous dévore et nous rende, avec plus de vérité, disciples du Seigneur Jésus, Amen !

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