Chers frères et sœurs,

Nous allons fêter à nouveau dans quelques semaines le mystère, c’est-à-dire le sacrement, de la Mort et de la Résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ. Ce Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens.

De nos jours, la Personne du Christ demeure une pierre d’achoppement dont la Présence en ce monde, manifestée par les membres de l’Église (dont Saint Augustin nous dit que nous sommes les mains et les pieds du Christ aujourd’hui), cette Présence continue d’être pierre d’achoppement sur laquelle nombre d’hommes et de femmes fondent leur vie, tandis que d’autres la contournent quand ils ne la combattent pas. Le Christ demeure, comme dit le psaume, la pierre angulaire rejetée par les bâtisseurs.

Le Temple de Jérusalem, chéri par tous les membres du peuple juif qui y montait chaque année en pèlerinage, était le signe tangible de la Présence de Dieu au milieu de son peuple. Il aura fallu 46 ans pour construire ce temple et voici que Jésus, dans la scène, avouons-le quelque peu violente, dont nous venons d’entendre le récit, redonne à ce lieu sacré sa dimension originelle. « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic ».

Le Temple nouveau inauguré par la Présence du Fils de Dieu en ce monde, c’est Jésus lui-même, si bien qu’en filigrane on peut lire « Je suis le temple », de même que Jésus dit « Je suis la lumière, je suis la vérité, je suis la vie ». En sa Personne demeure la plénitude de la divinité. Il n’y a pas à parcourir désormais le monde à la recherche de lieux manifestant sa Présence. Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux… je suis parmi eux, je suis en eux.

Dans le monde chaotique que nous connaissons aujourd’hui, frères et sœurs, car avec une acuité particulière nous l’entendons si souvent aux informations : ruines, guerres, pertes innombrables de vie humaine, Jésus demeure parmi nous le Temple vivant de Dieu : Emmanuel, Dieu avec nous. Et ce n’est pas la méthode « Coué » qui nous permet d’affirmer cela, frères et sœurs, c’est la foi ! C’est la foi ! « C’est d’endurance, dit l’auteur de la lettre aux hébreux, dont vous avez besoin, pour accomplir la volonté de Dieu et obtenir ainsi la réalisation de la promesse »… c’est d’endurance que vous avez besoin ; et l’auteur de la lettre aux hébreux de poursuivre, en parlant de Moïse : « Par la foi, en homme qui voit Celui qui est invisible, il tint ferme »… en homme qui voit Celui qui est invisible. C’est aussi, frères et sœurs, notre vocation commune de marcher dans les ténèbres de ce monde, ou la semi-obscurité de ce monde, comme si nous voyions l’invisible.

Le livre de l’Exode, dans la première lecture, nous a fait entendre l’un des deux récits de la Torah, de la loi de Dieu, relatant le Décalogue, terme grec signifiant « les dix Paroles ». L’autre récit se trouve dans le livre du Deutéronome.

Bien qu’on parle habituellement de commandements, il s’agit plutôt d’articles d’une charte d’Alliance, reconnaissant pour fondement Dieu comme étant l’Unique. « Tu adoreras un seul Dieu ». Ces dix Paroles constituent l’étoile polaire de la foi et de la morale, c’est-à-dire de la conduite, de l’agir, du peuple de Dieu. Elles éclairent également notre chemin de chrétiens. Les Dix commandements, les dix Paroles, n’ont pas été abolis par l’avènement du Christ, ils ont été portés à leur perfection. Ces dix Paroles constituent la norme de la justice et de l’amour, comme un grand code éthique pour l’humanité, code qui n’a rien perdu de son actualité : « Tu ne commettras pas de meurtre ; Tu ne commettras pas de vol… ».

Il nous faut lire, frères et sœurs, de façon nouvelle et plus profonde les dix Paroles, à partir du Christ qui nous donne toute son intelligence. De même que le Temple nouveau, c’est Jésus lui-même, et bien là aussi, la Loi nouvelle apportée par le Christ, c’est sa Personne-même. Il est, Lui, Jésus, la Loi nouvelle, la Parole ultime et définitive qui donne sens à toute chose et qui éclaire le monde, et qui éclaire nos vies.

Les juifs qui dans ce récit du temple contestent Jésus, ne sont pas tant choqués par son attitude quelque peu iconoclaste de jeter par terre la monnaie des changeurs et de renverser leur comptoir, que par l’interprétation qu’il donne lui-même de ce geste. Par ce geste, il signifie qu’il est lui-même, en sa Personne, au-dessus du Temple. « Le temple dont il parlait, c’était son corps » nous dit l’évangéliste. À ses disciples-mêmes, qui furent les témoins probablement interloqués de cette scène, il faudra l’effusion de l’Esprit donné par la résurrection, pour comprendre toute la portée de ce geste et de cette parole de Jésus. L’apôtre Jean, qui écrit cet évangile (c’est quatrième évangile, que nous venons de proclamer) l’a bien compris par le mot qu’il emploie. « Détruisez ce temple et en trois jours, je le réveillerai »… Il ne dit pas je le « relèverai », mais je le « réveillerai » ; c’est le mot qu’il emploiera et qui sera employé par les autres évangélistes pour dire le fait de la Résurrection. À la lumière de la Pentecôte, Jean a compris, comme une relecture, tout ce que Jésus disait et faisait durant sa vie : « Ah, maintenant, j’ai compris toute la portée de cette parole ».

Et nous, frères et sœurs, qui tâchons de vivre aujourd’hui en disciples du Christ, nous sommes les pierres vivantes de ce temple nouveau qu’est l’Église. Nous en sommes le corps mystique, porteur de la vie de l’Esprit qui le traverse et l’anime. Nous sommes aussi conscients de ses fragilités, voire de ses trahisons. Le Christ, frères et sœurs, n’est pas devenu la tête d’un corps sans souillure, mais d’un corps qu’il a racheté de la mort et du péché par le Don de sa vie et par l’envoi du Saint-Esprit ; et ce corps qu’est l’Église est saint parce que Lui qui en est la tête est le Saint de Dieu.

Cette vie du Christ, frères et sœurs, est toujours à l’œuvre dans l’Église, son Corps mystique. Elle irrigue tous les membres, tous les membres de l’Église jusqu’au plus fragile. On peut dire de ce corps mystique ce que disait Saint Augustin du pain et du vin eucharistiés, c’est-à-dire devenus la Présence réelle du Christ ; je cite Augustin : « En ces réalités que nous appelons sacrement, autre ce que l’on voit, autre ce que l’on comprend. Ce que l’on voit présente une apparence corporelle, ce que l’on comprend porte un fruit spirituel ».

Frères et sœurs, ainsi en est-il de l’Église et de ses membres où circule la vie d’amour Trinitaire à travers les vases d’argile que nous sommes. Vases d’argiles certes, mais infiniment aimés par notre Seigneur et rachetés par l’amour du Christ qui a livré sa vie pour nous.

Oui, il est grand le mystère de la foi !  Amen.

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