La liturgie de la Parole de ce dimanche ouvre l’Avent en même temps qu’une nouvelle année liturgique ; deux verbes à l’impératif viennent ouvrir sur une attente et marquer le désir, l’espérance d’un avenir, d’un « ad-venir » : « Reviens ! ».

Un impératif, un verbe, un appel adressé à Dieu : Reviens ! Et : « Veillez », un impératif un appel adressé à nous.

Reviens ! C’est Isaïe, une des grandes figures prophétiques du temps de l’Avent, qui met ce cri dans la bouche du peuple de Dieu.

« Reviens, Seigneur, à cause de tes serviteurs, des tribus de ton héritage ; Ah ! si tu déchirais les cieux, si tu descendais… ».

Et c’est aussi le psalmiste qui reprend le même verbe à l’impératif, ou plutôt ce cri, cet appel à l’aide : « Dieu de l’univers, reviens !… Réveille ta vaillance et viens nous sauver ».

C’est le cri, c’est l’appel à l’aide d’un peuple en détresse, ce peuple dont Dieu a pourtant pris soin comme de sa vigne, et qu’il semble avoir délaissé.

« Pourquoi as-tu laissé les bêtes des champs brouter la vigne que tu chérissais ».

À l’origine de ce cri, il y a aussi l’infidélité, le péché du peuple, qui a détruit l’Alliance ; « Pourquoi laisses-tu nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? ».

Ce cri, aussi douloureux qu’il soit, est adressé avec une grande confiance à Celui qui est appelé deux fois : « Père », dans le texte d’Isaïe – ce qui est assez rare dans l’Ancien Testament – et aussi « Rédempteur » (en fait plutôt Goel en hébreu) : celui qui se porte garant pour que son peuple soit libre, celui qui dépose en gage sa propre vie pour que son peuple soit libéré. Et encore, on s’adresse à Dieu comme au Potier qui nous façonne, et aussi, comme le Berger d’Israël.

Nous entrons en Avent, en venant déposer devant ce Berger, tout ce qui pèse sur nos vies – et pas seulement sur les nôtres mais sur la vigne du Seigneur, et même sur les peuples de la terre. Et nous pensons en particulier aux peuples qui vivent sur ce territoire, sur ce petit territoire, où ces grandes choses ont été accueillies en premier, et qui sont pour le moment complètement déchirés, désolés.

Nous portons vers Dieu, en le suppliant de revenir, nous portons vers Dieu le poids du malheur mais aussi le poids du péché. Nous le faisons en criant vers Lui avec confiance : « Ah, si tu déchirais les cieux… Réveille ta vaillance… Visite cette vigne » ; et aussi : « Fais-nous revenir » ; car si nous supplions Dieu de revenir, nous lui demandons aussi de nous faire revenir à Lui ; et nous poussons ce cri, en profonde communion avec toute l’humanité souffrante.

Ce cri, cet appel, dans la confiance, il demeure celui des disciples du Christ, des chrétiens que nous sommes, mais avec ceci de neuf : Dieu a répondu. Il est venu à nous en Jésus, il a déposé sa vie pour que nous soyons libérés du Mal et du péché ; Il est ressuscité, Il nous ouvre un chemin de vie et de liberté. « Il est déjà venu » – dira, tout à l’heure, la Préface qui ouvre la prière eucharistique – « Il est déjà venu en prenant notre condition, pour nous ouvrir à jamais le chemin du salut ».

En même temps, pourtant, comme les chrétiens de Corinthe auxquels Saint-Paul s’adresse, en même temps que nous reconnaissons, que nous rendons grâce, parce que déjà : « Il est venu », nous attendons de voir se révéler notre Seigneur Jésus-Christ. Mais Saint-Paul pourrait-il dire cela de nous, aussi nettement qu’il le dit des chrétiens de Corinthe ?

Nous ne nous préparons pas simplement à nous souvenir d’un événement du passé, nous attendons, nous désirons que le renouvellement du monde, déjà réalisé dans la Pâque de Jésus, s’accomplisse pleinement pour tous les humains dont nous portons le cri devant Dieu. « Nous nous languissons du Royaume de Dieu, écrit un jeune auteur chrétien, et d’un languissement actif, constitué à la fois du pressentiment de sa Présence déjà donnée, et de l’impatience de son dévoilement définitif à venir ». Est-ce que nous portons cette espérance, ce désir-là, intensément, au milieu des hommes et devant Dieu ?

C’est bien beau de désirer, d’attendre l’avènement plénier et définitif du Royaume inauguré par Jésus, mais cela tarde… et c’est bien pour cela que le cri : « Reviens ! », reste d’une tragique actualité.

Alors que faut-il faire ? Que faut-il être ? Alors que, comme le dit l’Évangile, le Seigneur est comme un homme parti en voyage.

Sur tous les tons, il nous est dit de : « veiller » ; c’est le deuxième impératif, le deuxième appel de cette liturgie de la Parole de ce jour. Sur tous les tons, il nous est dit de veiller, de rester éveillé : voilà ce qui nous est demandé par le Seigneur, à nous, petit troupeau qu’Il chérit comme son peuple saint.

Rester réveillé, et tenir, au cœur du monde avec ses ténèbres et ses clartés, tenir allumée la lampe de l’espérance. Cette veille est, et doit être, une veille active ; l’évangile de ce jour le met fortement en évidence : « Le Seigneur a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail ». C’est comme un écho de « la parabole des talents » entendue il y a seulement une semaine ou deux (quinze jours, je crois, peu importe), mais Il a donné tout pouvoir, Il a donné le pouvoir de faire grandir le bien qu’il nous a confié, et de le travailler pour que cela grandisse.

Il nous a confié le plus grand bien qui soit : le Royaume, la Vie éternelle ; il ne s’agit pas de l’enfouir mais de le partager et de le faire fructifier.

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