Frères et sœurs bien-aimés,

Le cycle liturgique que nous donne l’Église Notre-Mère en ce temps de carême, nous propose des textes majeurs de l’Écriture Sainte afin de préparer aussi bien les catéchumènes dans leur marche vers l’illumination du baptême qu’ils recevront dans la sainte Nuit de Pâques, que les baptisés que nous sommes, qui se purifient en ce temps de grâce. C’est pourquoi le récit de la transfiguration, selon Saint-Marc cette année, nous apporte lumière et force pour continuer, avec courage et audace, persévérance et humilité, notre conversion permanente.

Dans le groupe apostolique, Jésus choisit trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean, pour vivre avec lui des situations particulières, singulières, qui éclairent et manifesteront, sa puissance de gloire, et l’annonce du royaume des cieux, de l’évangile du Royaume : avec leur présence auprès de la fille de Jaïre que Jésus ressuscite, et à Gethsémani : à l’agonie, où ils s’endormiront. Dans la transfiguration, le Seigneur Jésus laisse transparaître, quelques instants, ce qu’il est, son être profond, sa divinité transparente dans son humanité. Saint Paul le dit dans la lettre aux Colossiens, en lui, Jésus habite corporellement toute la plénitude de la divinité.

Frères et sœurs, cet événement de la transfiguration du Christ pourrait bien se situer au niveau chronologique durant la fête des tentes, ce qui expliquerait la demande de Pierre à Jésus : Maître, faisons ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie. Le Seigneur Jésus, dans sa pédagogie auprès de ses apôtres pendant trois ans, les forme à devenir toujours plus ; c’est ce pour quoi ils sont choisis, ce pour quoi ils sont constitués comme groupe apostolique : ses envoyés, en vivant, en pensant, en agissant, comme leur maître et sous sa grâce, sa puissance. Cela se réalisera pleinement par le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte, selon la promesse du Seigneur Jésus, et le don du Père.

Dans ce récit de la transfiguration, la voix du Père est l’ombre de l’Esprit Saint. Cette ombre, qui a couvert la Vierge Marie au moment de l’incarnation du Verbe, manifeste la Trinité Sainte comme au début du ministère public du Sauveur, lors du baptême, dans les eaux du Jourdain. La présence de Moïse et d’Elie (qui s’entretiennent avec Jésus amicalement, la communion des Saints) manifeste l’unité de la Révélation tant dans la première Alliance que dans la deuxième et définitive Alliance, les deux Testaments qui sont unis, mais surtout Jésus comme point central, focal, de la Révélation Divine, le Christ Jésus comme plénitude de la Révélation qui éclaire toute l’histoire sainte, mais aussi la permanence et l’action de la présence de Dieu dans l’histoire du monde et des hommes.

Si Jésus, avant de se livrer en toute liberté et par amour à sa Passion, laisse transparaître quelque peu sa toute-puissance, c’est pour nous introduire chacun et chacune d’entre nous dans une confiance inébranlable, quels que soient les événements de notre vie.

Avec l’apôtre Pierre et le groupe apostolique, nous savons et nous croyons que le Christ Jésus nous accompagne et sera toujours à nos côtés pour traverser les ravins de la mort, quelle que soit la forme de mort et la mort finale, la mort biologique, dont parle le psaume 22 ; Jésus nous conduira en sa demeure, son temple saint, dans la paix et la joie de son royaume préparé pour ceux qui l’ont suivi et servi dans ses frères et sœurs, qui sont sa propre présence et comme sa propre chair, comme il nous le dit en Matthieu 25 : tout ce que vous avez fait ou pas fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.

Frères et sœurs, cette confiance et cette foi qui nous permettent de témoigner du Christ jusqu’au bout dans un don plénier d’amour.

Dans la première lecture de cette messe, tirée du livre de la Genèse, le récit biblique nous décrit ce qui, sans doute, a été l’épreuve la plus haute et la plus profonde dans la vie d’Abraham. Ce dernier avait reçu de Dieu la promesse et l’Alliance, le don de son fils Isaac qui est né par grâce et non par nature, signe et expression de la bonté et de la fidélité du Seigneur envers Abraham. En ce fils Isaac, reposait comme la réalisation de la vie d’Abraham et, en partie, le contenu de sa foi, le signe du don de Dieu et de sa fidélité. Et voilà que Dieu lui demande d’offrir ce fils, détenteur des promesses et de l’avenir. Un sacrifice d’holocauste (holocauste voulant dire que la victime est entièrement consumée et consommée), c’est-à-dire un don complet, définitif, qui fait comme s’effondrer toute la vie d’Abraham, tout le parcours du patriarche. Lui qui s’est mis en marche à l’âge de 75 ans, qui a quitté sa demeure, qui était installé, qui est un notable… il part dans le désert se laissant conduire par Dieu… Il a tout perdu, il a tout laissé pour le Seigneur, et voilà que Dieu lui demande d’abandonner ce qui est le signe formel de sa promesse et de la réalisation. Abraham a su voir au-delà de la réalité présente et douloureuse.

Jésus nous a dit dans l’évangile de Saint-Jean : Abraham a vu mon jour et s’est réjoui. Oui, de façon mystérieuse mais bien réelle, Abraham a vu le jour du Christ ; Il s’en est réjoui. Il a pour ainsi dire avancé dans une foi renouvelée et vivifiée sur le chemin que Dieu lui proposait, lui demandait de façon explicite. Car Abraham s’est reposé, appuyé, enraciné dans la parole de Dieu et dans ses promesses, pour le présent et pour l’avenir, voyant, espérant contre toute espérance, plus loin que l’immédiateté de la réalité présente.

Frères et sœurs bien-aimés, voilà le parcours de chacune de nos vies dans la foi : aimer Dieu pour lui-même et non pour ses dons, si beaux soient-il. Aimer Dieu en vérité et non seulement pour la satisfaction reçue ou à recevoir.

Dans chacune de nos vies, il y a une, à minima, ou plusieurs épreuves, comme un pont à traverser, des épreuves à endurer, un échec, qui font capoter la vie, ébranler la vie comme un séisme, un tsunami, où tout semble vaciller, s’effondrer, s’écrouler ; comme si la vie devenait comme un champ de ruines après un bombardement – trop réel en nos temps.

Dieu nous aime, il nous aime d’un amour sans limite, et c’est cet infini de l’amour de Dieu qui ébranle nos vies. Nous aimons nos sécurités, nos appuis, nos assurances, et nous passons notre temps à contacter des compagnies d’assurances pour nous assurer toute catégorie. Nous sommes sous le régime de la peur, et nous voulons assurer par soi-même nos assurances, l’avenir, être protégés, être les maîtres de notre histoire. Dieu fait écrouler toutes nos sécurités, non par cruauté, mais pour nous faire entrer dans un amour véritable, et non dans un amour limité qui est une auto contemplation de soi-même.

Oui, Dieu nous aime sans limite, sans restriction, car l’amour par nature n’a pas de limite. Pour nous faire participer à cet amour – qui est le grand don de l’être même de Dieu, puisque Dieu est amour – le Seigneur nous purifie, nous émonde, comme le cultivateur qui coupe à un œil ou deux yeux le sarment qui peut faire plusieurs mètres, mais qui permet d’avoir une récolte, et non des feuilles

Pour certains, cette purification ira plus loin que pour d’autres, c’est un mystère de la vie de chacun, comme pour tous les trois apôtres, Pierre, Jacques et Jean, chacun selon son parcours. Mais cette adhésion de foi nous permet d’entrer davantage dans l’amour crucifié du Sauveur, et de participer à notre mesure au salut du monde, comme le Seigneur nous y appelle, nous y invite, et comme il le veut.

Toute épreuve a une sortie glorieuse en son temps. Le temps sera peut-être celui de l’éternité ! Toute notre vie, toute vie d’ailleurs, toutes épreuves pressantes, nous permettent d’être conduits à une participation au Mystère Pascal, de la Passion, de la Mort et de la Résurrection glorieuse du Seigneur Jésus. Le Seigneur pourrait nous faire passer directement d’une vie honorable, sympathique, à la gloire du ciel… comme un satellite qui s’envolerait paisiblement. Mais il y a un endroit par lequel il nous fait passer qui s’appelle le calvaire… passage obligé, sens unique… qui nous permet d’adhérer par amour à la passion du Christ ; et le Seigneur nous appelle, par grâce, en toute liberté et par amour, à participer à ce salut du monde, au salut éternel des âmes : éternel, ne jamais oublier cet adjectif. Avançons donc par amour sur le chemin de la vie, de notre vie telle qu’elle est, pour porter par amour un fruit d’éternité.

Frères et sœurs, que Marie, au pied de la Croix, Mère de l’espérance, mère de la vie et de toute grâce, nous accompagne toujours et en toutes circonstances pour vivre avec Jésus, Manifestation plénière de l’amour du Père et accomplissement total de tout.

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