Bien chers frères et sœurs,

Ce baptême de Jésus que nous célébrons aujourd’hui est un moment providentiel dans la vie humaine de Jésus. Il est significatif que les quatre évangiles, Saint Matthieu, Marc, Luc et Jean, mentionnent cet événement, alors que deux d’entre eux, Marc et Jean, passent sous silence la nativité, la naissance de Jésus à Bethléem.

Dans le Livre des Actes des Apôtres, quand il s’agit de choisir un douzième apôtre à la place de Judas, Pierre précise : « Or, il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. Il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection ». Cela montre bien, frères et sœurs, combien cet événement est important dans la vie de Jésus, puisqu’il inaugure ce ministère public qui sera partagé par ses disciples et mis par écrit dans les évangiles.

Le baptême de Jésus au Jourdain est un moment symbolique qui rassemble toute l’œuvre du salut. Il y a d’abord un lien profond entre la nativité de Jésus à Bethléem et son baptême. Ce sont deux manifestations de Dieu, deux épiphanies, deux théophanies. À Bethléem, c’est une théophanie cachée avec peu de témoins, Marie, Joseph, les bergers et un peu plus tard les mages. Aujourd’hui, Jésus se manifeste à beaucoup d’hommes et par eux au monde entier, portant en lui, comme dit saint Paul, corporellement toute la plénitude de la divinité (en son corps humain). C’est une théophanie, une manifestation du Fils de Dieu. Nous l’avons entendu, la voix du Père se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ». Théophanie, manifestation. C’est aussi une théophanie de la Sainte Trinité, puisque se manifeste la volonté aimante du Père par sa voix et que l’Esprit Saint descend sur le Fils éternel, incarné sous forme d’une colombe.

Le baptême, frères et sœurs, annonce la mort et la résurrection du Christ. La mort est avec le péché dans les eaux du Jourdain. L’eau a été créée par Dieu, bonne en soi, sainte et pure. Saint François d’Assise parle de « notre sœur l’eau ». Avec le baptême de Jean le Baptiste, l’eau est devenue impure par le péché que les hommes y ont laissé : ils sont entrés dans l’eau, ils ont confessé leur péché, et ils en sont sortis purifiés, mais d’une purification provisoire, anticipant la purification finale qui ne pouvait être donnée que par la mort et la résurrection de Jésus, vécues dans le sacrement du baptême. L’eau s’est ainsi chargée du péché de l’humanité. Lorsque nous avons béni l’eau au début de cette célébration, nous avons demandé par la grâce de l’Esprit Saint que les forces du Mal en soient expulsées et qu’elle redevienne ce pourquoi elle a été créée, porteuse du Saint-Esprit, véhicule de vie, de joie et de grâce. Voici qu’aujourd’hui, en ce jour du Baptême de Jésus, le Seigneur descend dans l’eau qui a été souillée par le péché des hommes, et Il prend ce péché sur lui, Il libère l’eau et les cœurs humains. Nous sommes maintenant déjà dans l’anticipation de la rédemption, c’est-à-dire du Mystère de Jésus qui nous sauve par sa Pâque, par sa mort et par sa résurrection, anticipation de la purification du monde tout entier.

Je dis bien « du monde tout entier » car on peut rappeler les paroles de Saint Paul dans la lettre aux Romains. : « La création a été soumise à la vanité », et aussi « la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement, et ce n’est pas elle seulement, mais nous aussi (…) nous soupirons en nous-mêmes en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps ». Cette rédemption de notre corps, frères et sœurs, elle est figurée aujourd’hui par Jésus qui sort de l’eau. La remontée hors des eaux du Jourdain est une anticipation de la remontée des eaux de la mort au sein desquelles Jésus fait jaillir la résurrection.

Enfin, nous pouvons dire que le baptême au Jourdain, où l’Esprit descend sous la forme d’une colombe et repose en Jésus, est une figure, une promesse et une anticipation du mystère de la Pentecôte, lorsque l’Esprit, à la demande de Jésus, est envoyé conjointement par le Père et par le Fils sur le monde. Il inaugure une présence permanente de l’Esprit Saint dans le monde, dans l’Église, en nous et en tout homme. La descente de l’Esprit sous forme de colombe annonce la Pentecôte permanente qui n’aura plus de fin.

Ainsi, frères et sœurs, la plénitude de l’œuvre de salut de Jésus est annoncée et figurée au moment du baptême et l’Esprit qui descend sur lui descend sur chacun de nous, le jour de notre baptême. Au jour de notre baptême, la Sainte Trinité est descendue dans notre âme et elle y demeure pour toujours. Nous continuons à recevoir cet Esprit, l’Esprit de Jésus, dans la sainte Eucharistie, car toute notre vie est placée sous le signe du baptême et de l’Eucharistie, sous le signe de la mort et de la résurrection, du combat et de la victoire dans la naissance nouvelle par l’Esprit. De même que Jésus est conduit par l’Esprit Saint dans le désert pour y être tenté, de même, frères et sœurs, nous aussi, mus par l’Esprit, soutenus par l’Esprit, nous affrontons des tentations multiples et nécessaires afin qu’à travers le combat qui est réel, les démons soient chassés par la présence du Saint-Esprit, afin qu’en nous triomphe la vie divine ; comme dit Saint Césaire, que je cite : « Par la grâce du baptême, chacun est vidé de tout mal ; mais ensuite, avec l’aide de Dieu, il doit s’employer à être rempli de tout bien ».

Rendons grâce aujourd’hui, frères et sœurs, du baptême que nous avons reçu et demandons au Seigneur la grâce d’être toujours fidèle aux promesses de notre baptême, comme nous allons le redire dans un instant. Amen !

Frère Jean, moine de Sénanque