Chers frères et sœurs,

toutes les paraboles des Évangiles ont quelque chose à voir avec le Royaume des cieux. C’est très tôt dans l’Église qu’on a actualisé les paraboles. Pour celle des talents qui nous est donnée aujourd’hui, le négociant qui part en voyage, devient une figure du Christ, dont le voyage est identifié à son ascension et à son retour, après un long voyage. C’est une image de la Parousie, c’est-à-dire du retour dans la gloire de Jésus à la fin des Temps.

L’évangéliste Mathieu a inséré cette parabole dans un ensemble d’exhortation à la vigilance ; il souligne que la vigilance implique une activité exigeante pour faire fructifier les biens du Royaume que le maître a confié aux siens avant son départ ; les talents signifient alors la richesse des biens du Royaume dont les disciples sont devenus les intendants durant le temps de l’Église ; et le temps de l’Église, c’est ce temps situé entre l’Ascension de Jésus et son retour à la fin des Temps. Nous sommes aujourd’hui dans le temps de l’Église.

Le commentaire le plus ancien de cette parabole cite une parole unique du Seigneur disant : « Soyez des changeurs experts ». Le serviteur paresseux est critiqué car il s’est retiré alors qu’il devait être un banquier, c’est-à-dire éprouver les paroles du Seigneur. L’argent est ici le symbole des paroles de l’Écriture. La prédication de la Parole de Dieu est le bien qui a été confié à l’Église. Peut-être, frères et sœurs, direz-vous en cherchant dans votre mémoire, en regardant le talent que vous avez reçu, qu’il est si petit que c’est comme si ce n’était rien du tout. Or l’évangile de ce jour nous dit cette révélation : à savoir que chaque être humain rencontré par Jésus, détient de sa part au moins un talent, au moins une seule possibilité de faire fructifier quelque chose en lui, pour le Royaume de Dieu. Même si comme la femme pauvre de l’Évangile, il s’agit de quelques piécettes, mais rien n’est petit aux yeux de Dieu. Même si ce talent a la forme en nous d’un doute, d’une interrogation, d’une inquiétude ; et bien il y a une manière de le porter qui lui fera porter des œuvres de vie pour le Royaume. Rien n’est petit pour Dieu !

Saint-Césaire d’Arles (un homme de chez nous, de notre région, au Ve siècle, dont la parole est très vivante lorsqu’on lit ses sermons) trace bien le portrait intérieur de l’homme qui n’a pas fait fructifier son talent, je le cite : « Cet homme-là est de ceux qui croient se justifier en disant : mais je n’ai rien fait de mal, pourquoi me gronder ? Dites donc, poursuit Césaire, si un homme a planté une vigne, voudrait-il au bout de 10 ans la retrouver telle qu’il l’a plantée ? Et s’il lui naît un fils, aimerait-il après 5 ans, le voir toujours dans cet état de nouveau-né ? »

Saint-Paul nous dit : « Nous vous exhortons à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu ». C’est la conclusion, frères et sœurs, de cette parabole : être si possible des serviteurs qui portent du fruit.

Mais si nous avons des motifs de craindre que ces fruits soient maigres ou trop petits, alors nous sommes invités à racheter notre misère par un recours à la miséricorde de Dieu ; puis, sans plus attendre, profiter de ce que l’Écriture appelle « le temps favorable », le kairos, qui nous est toujours laissé comme une possibilité ouverte de conversion.

Ce qui est certain pour les baptisés que nous sommes, frères et sœurs, et que par le sacrement de baptême, nous avons tous reçu un talent, au moins un talent ; et quel talent ! À savoir le don de la grâce, le don de la foi, capital à faire fructifier et non à enfouir. Nous sommes ses serviteurs, à qui Dieu fait confiance, et il récompensera au-delà de tout mérite, le serviteur fidèle pour peu de choses, en le faisant entrer dans sa joie : « Entre dans la joie de ton maître ».

« Il s’agit, écrit Blaise Pascal, de faire les petites choses comme grandes à cause de la majesté de Jésus-Christ qui les fait en nous (et qui vit notre vie), et les grandes comme petites et aisées à cause de sa toute-puissance ».

Si nous regardons, frères et sœurs, les figures des saints, par exemple : saint Paul, le saint Curé d’Ars, tant d’autres… nous constatons dans leur vie que c’est précisément ce qui est petit qui est grand ; et que, à travers le service apparemment petit d’un homme, Dieu peut accomplir de grandes choses, et purifier, et renouveler, le monde de l’intérieur.

Que le Seigneur, en ce jour qui lui est consacré, frères et sœurs, que nous appelons dominus, dit « le jour du Seigneur », nous fasse mieux comprendre et mieux voir ce qui en nous est encore en l’état de germe et qui ne demande qu’à grandir. Nous porterons ainsi un fruit qui plaît à Dieu et qui aura grandi dans ce que nous appelons la « Caritas », c’est-à-dire l’amour de Dieu répandu en nos cœurs par le Saint-Esprit, et dont l’Église est la dépositaire.

Honneur, puissance et gloire au Père des lumières de qui vient tout talent, c’est-à-dire tout bien. Amen

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