Frères et sœurs bien aimés,
Le Pape St Grégoire le Grand (VIe siècle) a une citation qui peut résumer la vie chrétienne et la vie monastique, à savoir : vivre dans la solennité de l’amour de Dieu*.
Dieu se donne. Et il se donne dans le Pain de vie. Pour comprendre le vocabulaire de Jésus (parlant de sa Chair et de son Sang) nous sommes invités à nous référer à la première Alliance, à l’Ancien Testament (le mot ‘testament’ voulant dire ‘Alliance’) où le peuple Hébreu, le peuple Juif, rendait un culte à Dieu à Jérusalem ; le seul lieu sur la terre pour le peuple Hébreu où l’on peut rendre un culte à Dieu dans le Temple, l’unique temple de la religion juive – ce Temple a été rasé par le général Titus qui deviendra empereur en l’an 70, avec une répression sur le peuple Juif de manière effroyable.
Oui, le peuple Hébreu devait rendre un culte uniquement à Jérusalem et dans ce Temple, d’où l’importance du Temple dans toute la tradition de l’Ancien Testament. Et quelle était la communion la plus étroite, de manière objective, avec Dieu pour le croyant Juif ? C’était d’offrir des sacrifices au Seigneur – à savoir des bœufs, des moutons, des oiseaux, des colombes – pour rendre un culte à Dieu. Il y avait plusieurs possibilités pour rendre ce culte : des sacrifices d’holocauste où la victime était entièrement consumée, brûlée ; un holocauste qui rendait gloire à Dieu, qui signifiait le don total du croyant, par l’offrande d’un animal qui était entièrement consumé : c’était une communion d’holocauste. Mais il y avait un sacrifice de communion où la victime était en partie brûlée, et ensuite répartie en deux catégories : une catégorie pour les prêtres qui n’avaient pas d’autres revenus que cela – donc ils recevaient une partie des offrandes matérielles des fidèles – et l’autre partie où le fidèle communiait à ce sacrifice : à l’agneau pascal ou aux autres animaux.
Nous sommes invités à faire référence à cette première Alliance pour mieux comprendre ce que Jésus dit aujourd’hui : « Mangez ma chair et buvez mon sang »… et donc, pour un croyant Juif, tout de suite, ces paroles font référence au Temple et au sacrifice, au culte, à la liturgie du Temple de Jérusalem. Aujourd’hui, Jésus nous révèle que le nouvel agneau pascal, c’est Lui-même ! Que la nouvelle victime, c’est Lui ! Dans la nouvelle Alliance, nous n’avons plus besoin de moutons, d’agneaux, de colombes, etc. C’est le Seigneur Jésus, lui-même, Christ, Verbe fait chair, qui est à la fois l’Envoyé de Dieu, Dieu lui-même, Sauveur du monde, et en même temps l’Autel, l’unique Autel du nouveau sacrifice, l’unique Victime de la nouvelle Alliance et l’unique Prêtre du nouveau sacerdoce. Les évêques, les prêtres, les diacres, participent à l’unique Sacerdoce du Christ, à l’unique Prêtre qui est le Christ Jésus. C’est en participation à Lui qu’on est évêque ou prêtre. Et le sacerdoce commun des fidèles est en référence et en participation directe avec l’unique Sacerdoce du Christ.
Donc le culte de la nouvelle Alliance est centré sur une Personne. Cette Personne est divine. C’est la deuxième Personne de la Trinité qui a pris chair de la Vierge Marie, qui est le Christ-Messie, Seigneur, Jésus de Nazareth, vrai Dieu et vrai homme. Et toute la liturgie de l’Église, toute la liturgie du Nouveau Testament, a sa source, s’enracine, a sa finalité et sa modalité de développement dans la Personne du Christ Jésus qui s’adresse et nous conduit au Père Éternel – toute prière eucharistique est adressée au Père par le Fils, dans le Saint-Esprit.
Jésus nous communique et nous révèle que le Pain de la nouvelle Alliance n’est plus la manne du désert (pendant quarante ans), n’est plus les pains de proposition que les prêtres offraient le matin et le soir dans le Temple de Jérusalem – ces pains représentaient l’offrande du peuple (comme signe) pour la gloire de Dieu, et la sanctification du peuple. L’Eucharistie, cette nouvelle célébration qui assume le passé et le transcende de manière unique, tout à fait nouvelle : ce pain et ce vin deviennent la Personne même du Christ Jésus dans sa réalité sacramentelle, mystique, mais authentique !
Le Seigneur se livre à nous. Et pour communiquer à toute l’humanité ce Mystère d’amour (qu’il a institué il y a plus de 2000 ans), le Seigneur a institué le Mystère de l’Eucharistie pour que dans le temps et l’espace, sa Présence vivante, vivifiante, sanctifiante et salvatrice, soit communiquée à tous les peuples et à tous les êtres humains dans l’histoire de l’humanité. D’où l’importance de la mission de l’Église, et de proposer à toute l’humanité ce grand Mystère de l’amour divin afin que toutes et tous, à chaque génération de l’histoire, puissent vivre dans la solennité de l’amour de Dieu*, la solennité de l’amour trinitaire.
Nous pouvons nous poser la question comment vivre du Christ, comment vivre avec le Christ ? Jésus nous donne la réponse. Quand Jésus demande quelque chose, quand Dieu ordonne quelque chose, quand il promulgue ses Dix paroles, les Dix commandements, il donne en simultané la possibilité de répondre. Dieu ne demande pas des choses impossibles – si c’est impossible, nous n’avons aucune responsabilité… nous ne pouvons pas ! Dieu nous donne, nous demande de faire des actes, de faire des choix librement par amour, mais qui nous obligent ; bienheureuses obligations, bienheureuses nécessités d’obéir pour engager notre liberté et bonifier, qualifier notre personne et notre vie, afin qu’elles soient en correspondance avec la grâce divine dans ce Mystère d’Alliance. – ce Mystère d’Alliance qui existait dans la première Alliance (l’Ancien Testament) où chaque croyant, et le peuple en tant que tel, faisaient alliance dans le mystère du sang de ces animaux – La nouvelle Alliance se manifeste par le pain et le vin qui deviennent le Corps et le Sang du Christ, c’est-à-dire la Personne du Verbe fait chair manifestée dans l’histoire, actualisée dans chaque célébration eucharistique et, est comme un miracle de la jonction du temps et de l’éternité à chaque célébration eucharistique. Cette nouvelle Alliance qui nous regroupe tous ensemble et chacun en particulier – Dieu n’est pas collectiviste : Il aime chacun, il crée une assemblée, pas une collectivité – chacun participe et est participant de cette nouvelle Alliance dans le Mystère de la Personne du Christ qui se révèle, se manifeste et se donne dans le sacrement de l’Eucharistie.
Il y a trois caractéristiques pour participer et nous laisser vivifier. Tout d’abord, de vivre et de participer au Mystère de l’Eucharistie. Chaque jour du Seigneur, chaque solennité, notamment les quatre solennités de préceptes : à savoir l’Ascension, l’Assomption, la Toussaint et Noël, qui sont assimilées au dimanche, afin de nous nourrir du Pain de vie ; et si possible chaque jour, quand nous sommes à côté d’une paroisse, d’une communauté, d’un oratoire, où l’Eucharistie est célébrée tous les jours.
Ainsi, de venir puiser à cet amour pour être sans cesse alimenté et avoir notre pain quotidien pour recevoir la vie de Dieu et vivre de lui.
Oui, vivre, participer à l’Eucharistie ! Certes, si l’évêque ou le prêtre célèbre la Messe, chaque baptisé, chaque communauté chrétienne, participe, et en quelque sorte, célèbre aussi la Messe avec le prêtre qui est là pour donner ce Mystère, et vivre tous ensemble de cet unique Mystère où le Seigneur se livre et manifeste cette Alliance ; afin que tous et toutes, chacun et chacune, puissent rentrer de manière personnelle et vivante dans la réalité de ce Mystère d’Alliance, ce Mystère nuptial.
L’autre caractéristique, c’est de communier à ce Mystère. Il y a quelques décennies, ou un ou deux siècles, naissait le jansénisme : Jansenius était un prêtre, par ailleurs très bien, qui avait (et surtout ses disciples) une vision très rigide des choses, et qui a éloigné toute une partie des fidèles en disant « je ne suis pas digne de communier ». Alors certes, si on a conscience d’un état de péché grave, d’un état mortel, nous devons recevoir le sacrement de pénitence avant de communier ! Mais en appuyant trop sur une pseudo-pureté pour recevoir le Seigneur, un piège satanique était d’éloigner les fidèles de la réception du sacrement ; et donc de les éloigner de la force divine qui était donnée. Donc avec le Pape, déjà, Saint Pie X, qui a ouvert la communion aux enfants très jeunes, et ensuite tout au long des décennies du XXe siècle, les différents papes ont ouvert, et ont demandé jusqu’au concile Vatican II, de pouvoir recevoir la communion, non seulement chaque dimanche mais chaque jour, afin de nous nourrir. Il y a parfois des pseudo-puretés qui sont des pièges du Diable pour éloigner, mais qui brillent. Saint-Paul nous dit « Satan se déguise en ange de lumière ». Tout ce qui brille n’est pas d’or !
Nous sommes appelés à recevoir le Seigneur pour vivre ce Mystère d’alliance et développer toutes les potentialités de notre baptême et de notre confirmation, afin d’être tous et toutes des pierres vivantes de l’Église, des membres vivants et non sclérosés (ou nécrosés, ce qui est pire : des membres morts) de la communauté chrétienne, mais vivants de manière authentique et véridique au plus profond de notre être, pour vivre et accomplir ce que Dieu veut de nous.
Enfin, une troisième caractéristique, c’est de venir adorer le Seigneur dans le Saint-Sacrement, dans tous les tabernacles où Il est présent : dans les chapelles, les oratoires, les cathédrales, les églises… pour venir nous ressourcer, pour venir recevoir consolation, lumière, force, pour être en communion avec Lui de manière particulière. Jésus affirme que pour demeurer avec Lui – et il nous le demande : Demeurez en moi comme je demeure en vous – c’est la réception de l’Eucharistie qui accomplit ce Mystère de demeurance.
« Celui qui mange mon corps et boit mon sang demeure en moi et moi, je demeure en lui ».
Laissons-nous saisir par cette vérité de foi et cette expérience de rencontre avec le Christ. Seule une rencontre personnelle, vivante, vivifiante avec Jésus peut transformer notre vie. Sinon, nous risquons de demeurer comme en ‘périphérie’ de notre vie chrétienne : d’avoir une doctrine juste, des idées intellectuelles tout à fait bien posées, mais d’être en décalage au niveau existentiel. Nous sommes appelés à avoir une vie de plus en plus cohérente, de plus en plus unifiée afin de recevoir la vie du Seigneur, d’avoir cette Vie, de recevoir sa miséricorde, sa Présence pour être totalement transformés en Lui. Il n’y a pas de fusion dans la vie chrétienne, il y a une union. Mais pour qu’il y ait union, il faut qu’il y ait une relation d’alliance entre deux personnes, sinon il y a absence ou disparition.
Et quand nous recevons le sacrement de l’Eucharistie – à la différence des aliments naturels : nous les mangeons, nous les assimilons et nous les détruisons – quand nous recevons Jésus, il nous respecte et Il demeure en nous tel qu’il est ! Il y a une union, une profonde communion, sans une assimilation destructrice… C’est le propre du sacrement de l’Eucharistie.
Et ce que nous rêvons en tant qu’être humain de communion les uns avec les autres – qui peut se réaliser dans le mariage, dans la filiation, dans l’amitié, dans le don de soi, les gens qui ont vécu des grandes expériences de la vie : certaines guerres, certains défis de l’existence, qui marquent de manière positive pour le reste de la vie et qui créent une amitié solide – eh bien, tout cela est assumé, dépassé de manière infinie par le sacrement de l’Eucharistie où Dieu se livre à nous dans une communion qui nous respecte et qui nous fait rentrer déjà dans la communion trinitaire.
Demandons que nous puissions vivre ici-bas dans la foi (et dans quelque temps dans la vision de Dieu) cette vie dans la solennité de Dieu (voir début de l’homélie*) : la solennité de la Trinité, la solennité de l’amour de Dieu.
Que cela soit notre réconfort, notre espérance, et nous donne la force à notre tour de devenir « pain » pour les autres, afin qu’ils puissent rentrer dans ce Mystère, et découvrir qu’ils sont aimés de manière infinie par le Dieu trois fois Saint.
Amen !