Homélie du Dimanche 14 Juillet 2019

15ème dimanche du temps ordinaire – Année C

Par le P. Jean-Yves Théry

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur – Le style oral a été conservé

 

« Qui est mon prochain ? »

La question se pose en effet presque chaque jour, à chacun d’entre nous. S’il s’agit d’aimer mon prochain comme moi-même, il faut bien que je sache qui est mon prochain !

On n’aura pas tort en première analyse de répondre « Et bien mon prochain, ce sont d’abord mes proches, ceux avec qui je vis chaque jour : mon mari, ma femme, mes enfants ».

Pour le moine, ce sera mes frères de communauté.

Il m’arrive assez souvent, quand une personne mariée vient se confesser, et qu’elle fait une confession de célibataire (c’est-à-dire sans aucune allusion au conjoint), de lui dire :

« N’oubliez pas que votre premier prochain, c’est votre épouse » ou bien votre époux, si c’est une femme.

Cependant, nous sentons bien que cette première approche, aussi légitime soit-elle, n’est pas suffisante. La question du prochain ne concerne pas seulement le cercle familial ou communautaire. Et puis est-ce vraiment la bonne question ?

S’agit-il vraiment de tracer autour de moi des cercles concentriques, plus ou moins éloignés, un peu comme sur une cible, et de dire « jusque-là, oui, c’est mon prochain ! Mais après non ! ».

Est-ce que Jésus ne vient pas renverser cette manière de voir ?

Bien, mettons-nous humblement à son école. Avec beaucoup de délicatesse et de pédagogie, il fait l’éducation d’un Docteur de la Loi, mais son enseignement vaut aussi pour nous.

Il se développe en trois étapes que l’on peut résumer ainsi :

1ère : « juge par toi-même » ;

2 : « laisse parler ton cœur » ;

et 3 : « imite-moi ».

« Juge par toi-même »

« Maitre, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »

Cher ami, la question est bonne, importante mais ambigüe ! Car la vie éternelle, ce n’est pas un droit qu’on peut acquérir par sa pratique : « puisque j’ai fait telle ou telle bonne action, il faut bien que Dieu me récompense et me donne l’héritage »…Non ! Mais Jésus le prend pourtant au sérieux et engage le dialogue avec lui et il lui dit « tu » : manière de l’inviter à se situer personnellement.

« Dans la loi, qu’est-ce qui est écrit ? Et comment lis-tu ? » Toi ?

La deuxième question est sans doute, la plus importante : comment lis-tu ?

C’est-à-dire : ne me donne pas seulement la réponse du catéchisme, car je la connais aussi bien que toi, mais dis-moi comment tu la reçois ?

Car le Docteur donne une excellente réponse à la première question. Il va à l’essentiel, il rappelle les deux textes majeurs de l’Ancien Testament ; que nous connaissons bien nous aussi. Le premier, tiré du Deutéronome : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence » ; et le second, tiré du Lévitique « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Et l’homme va même jusqu’à rapprocher ces deux commandements. Ce que le judaïsme du temps de Jésus ne faisait pas !

Mais que Jésus, lui, va lier indissolublement. Si bien que désormais, il est impossible de les séparer. Amour de Dieu, amour du prochain : c’est comme les deux faces d’une pièce de monnaie ! Inséparables !

« Mais comment lis-tu ? » demande Jésus. « Comment lis-tu ? »

« Juge donc par toi-même. Ne te contente pas de répéter ce que tu as appris ! Fais appel à ta conscience ! Rappelle-toi encore le Deutéronome : la Parole est tout près de toi. Elle est dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique.

La loi du Seigneur n’est pas réservée à ceux qui vont jusqu’au sommet des montagnes ! Ni au courageux aventurier capable d’aller au-delà des mers ! Non ! La Loi n’est pas dans les cieux, inaccessible ! Elle n’est pas réservée à une élite !

Mais celui qui se rapproche de son intériorité, de son cœur, dit l’homme de la Bible…de sa conscience dit l’homme d’aujourd’hui… celui-là peut la comprendre et la mettre en pratique.

Donc, juge par toi-même ! C’est la première étape !

Mais aussi, « laisse parler ton cœur ».

Car le dialogue aurait très bien pu s’arrêter là. Au fond, tout était dit ! Mais l’homme est en difficulté. Car il souhaite une définition, sans doute, assez restrictive du prochain, qui s’accorderait avec son comportement habituel… qu’il n’a pas trop envie de remettre en question.

« Et qui est mon prochain ? »

La question était discutée dans le judaïsme. Fallait-il entendre les seuls membres du peuple élu ? Israël ! Ou bien aussi les étrangers résidant en Israël. On savait bien qu’en Égypte, Israël avait lui-même vécu une existence d’étranger. Ce qui appelait aussi à l’amour des étrangers. Mais il fallait tout de même tracer certaines limites. Et en tout cas, la notion de prochain ne s’appliquait pas aux Samaritains.

C’est alors que Jésus, comme souvent, se met à raconter une histoire… dans cette histoire, trois personnages mais deux comportements bien contrastés. Celui du Prêtre et du Lévite, les intermédiaires entre le peuple et Dieu, en quelque sorte, les spécialistes de la relation avec Dieu. Leur univers, c’est celui du Temple de Jérusalem, dont semble-t-il, ils ne sont pas vraiment sortis. Même s’ils sont en route  pour Jéricho, pour aller prendre l’air. Mais ils voient bien l’homme blessé… mais en fait, ils ne le regardent pas ! Et encore moins, le touchent-ils ! Car ce serait, pour eux, contracter une impureté légale ! Et donc être empêchés d’exercer leur service liturgique pendant sept jours ! « Impossible » pensent-ils « Interrompre le culte divin ? Pendant sept jours ? »

Le Samaritain n’a pas les mêmes préoccupations. « Il vient auprès de lui » dit st Luc. Littéralement, il vient à lui. On parle pas de chemin. On parle pas d’endroit. Il vient à lui. C’est-à-dire qu’il entre en relation avec lui et il est saisi de compassion. Plus exactement remué jusqu’aux entrailles.

Et il se met tout de suite à l’œuvre, en donnant les premiers soins. Il ne s’agit pas pour lui d’observer la Loi ou d’obtenir quelque chose. Non, simplement, il laisse parler son cœur et il pose les gestes qui sauvent : le vin pour désinfecter, l’huile pour adoucir et apaiser. Il ne calcule pas, tout absorbé qu’il est, par le soin de l’homme en souffrance. Tout enflammé de charité pour cet inconnu qu’il ne veut d’ailleurs pas attacher à lui à l’excès…puisqu’il le confie à un autre… « Prends soin de lui et tout ce que tu auras dépensé en plus… » – magnifique charité qui n’oublie pas la justice à l’égard de l’hôtelier –

Ce Samaritain ne pouvait pas connaitre cette belle parole de Tertullien au IIIème siècle, mais il la vit !

« Tu vois ton frère, tu vois ton Dieu ! ».

Le renversement est total. Il ne s’agit plus de se demander « Qui est mon prochain ? » mais : « de qui dois-je me faire le prochain ? » Avouons que c’est beaucoup plus exigeant ! Car ce n’est plus moi, c’est le prochain qui est au centre de la cible. C’est lui qu’il s’agit de rejoindre. Lui dont je dois choisir de me faire proche. Pas évident ! Pas évident ! Reconnaissons-le !

Et c’est pourquoi, il y a encore une troisième étape, implicite, dans la pédagogie de Jésus.

« Juge par toi-même », « laisse parler ton cœur », et maintenant dis Jésus, « imite-moi ».

« Imite-moi ! ».

« Le Christ Jésus est l’image du Dieu invisible » écrit st Paul aux Colossiens. L’image, donc le reflet parfaitement fidèle de la compassion de Dieu.

Et en effet, quand il vient à croiser le cortège funèbre de la Veuve de Naïm qui vient de perdre son fils unique« Jésus, dit st Luc « est bouleversé jusqu’aux entrailles »… exactement comme le Samaritain de la parabole.

On peut donc le dire maintenant : le vrai Bon Samaritain, c’est Lui, Jésus ! Celui qu’il s’agit d’imiter, en définitive, c’est Lui !

Impossible, donc, d’en rester à une définition théorique du prochain. « Qui est mon prochain ? » Décidément, ce n’est pas la bonne question !

Mais, de qui aujourd’hui vais-je devoir me faire le prochain ?

Qui surgira devant moi et viendra bousculer mon confort, mes projets ? Qui me bouleversera jusqu’aux entrailles ?

Je ne sais pas Seigneur Jésus. Mais pour que je puisse imiter ta compassion, en cette Eucharistie, inonde-moi de ton Esprit et de ta Vie divine. Amen !

Historique de nos Homélies

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