Frères et sœurs bien-aimés, dans la Bible, l’image de la veuve liée à celle de l’orphelin et de l’émigré, signifie et symbolise la réalité même du pauvre et de la pauvreté de celui ou celle qui est démuni de tout, sans défense, vulnérable, sans protection ni aucune assurance dans tous les sens du terme.

Dans les textes de la liturgie dominicale, l’image de la veuve est mise en exergue de façon saisissante : tout d’abord dans la première Lecture tirée du Livre des Rois, où le prophète Elie (le prophète par excellence qui apparaîtra à la « transfiguration » à côté de Moïse pour encadrer Jésus sous la contemplation des apôtres Pierre, Jacques et Jean), cet Elie est envoyé par Dieu à une veuve dans la ville de Sarepta dans le Liban actuel. Elie fuit la famine, non seulement la famine mais la persécution de la reine Jézabel qui veut l’assassiner ; car le régime en place soutient la défection à l’égard du Seigneur, le Dieu d’Israël, et favorise, encourage l’adoration aux faux dieux et surtout à Baal. Elie, le prophète d’Israël, est envoyé par le Seigneur lui-même à l’étranger, et non sur le territoire d’Israël. Il est envoyé vers une femme, vers une veuve pauvre, dépourvue du nécessaire et qui touche avec son enfant unique aux limites de l’existence humaine. C’est au creux de cette déréliction que Dieu accomplit sa promesse, sa fidélité, son soutien ! Avec peu, le Seigneur fait beaucoup et plus encore ! Le psalmiste chante avec nous, manifeste que le Seigneur soutient la veuve et l’orphelin, comme tous les autres hommes accablés.

Dans l’évangile selon Saint-Marc, Jésus nous délivre un enseignement sous forme de diptyque. D’un côté, la description réaliste de certains scribes c’est-à-dire de ceux qui ont autorité, ceux qui connaissent la loi de Dieu et qui sont chargés de l’enseigner. De l’autre, l’exemple existentiel d’une autre pauvre veuve discrète autant que généreuse qui donne tout ce qu’elle possède, pour vivre dans un acte d’abandon confiant et complet à la providence divine et une attitude de charité envers Dieu, envers son temple (le lieu saint, le seul temple de l’Israël), et envers ses serviteurs, les ministres du culte. Dans son indigence, cette veuve, qui n’est pas nommée, fait plus que donner, fait plus que tout donner dans la pauvreté qui est la sienne (elle aurait des motifs légitimes de garder des choses pour elle), mieux encore, elle se donne elle-même ! Ce don est l’image et le signe de son offrande complète envers Dieu, de sa confiance envers lui. Comme dans un sacrifice d’Holocauste qui a lieu dans ce même temple, elle se donne totalement et sans retour. Le sacrifice d’Holocauste, en ce temps-là dans le temple de Jérusalem, était l’offrande, l’oblation de la victime qui était entièrement consumée. Quel exemple pour nous ! Nous avons là un contraste saisissant. Ceux qui sont chargés de conduire les croyants, les fidèles d’Israël, de les conduire à Dieu mais qui profitent de façon éhontée de cette position religieuse, de cette position de connaissance pour attirer à eux les honneurs, la gloire des hommes, la considération humaine…pire, qui dévorent le bien des veuves ; des captateurs qui se saisissent des pauvres et qui en plus, ou pire, affectent de prier longuement. Bref, la description de l’hypocrite parfait ! Mais qui sont chargés d’enseigner Israël et qui, de fait, l’enseigne.

Et en contraste, nous avons l’attitude humble, discrète, cachée (mais pas cachée aux yeux de Dieu qui voit toute chose, tout ce qui est fait en secret) de cette veuve qui donne et se donne, mettant en application ce que disent les scribes. Reprenons ce que Jésus dit ailleurs : « Faites ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas ; obéissez-leur car ils enseignent dans la chaire de Moïse » (c’est-à-dire au nom de Dieu).

Frères et sœurs bien-aimés, nous pourrions retenir plusieurs éléments pour nourrir et fortifier notre agir chrétien, notre comportement de baptisé. Tout d’abord, croire que le Seigneur s’occupe des pauvres et de toute forme de pauvreté, mais aussi qu’il attend de chacun et chacune d’entre nous d’être pour aujourd’hui ses mains et ses pieds, pour agir auprès des pauvres et venir en aide à ceux que la dureté de la vie frappe de plein fouet.

Ensuite, d’être certains que Dieu peut faire jaillir la vie de la mort, qu’il peut faire jaillir l’abondance au creux même de la disette et des situations complètement bloquées. Dieu peut faire du nouveau en toutes choses, il n’est pas limité. Il peut faire beaucoup avec peu, rappelons-nous la multiplication des pains : quand un petit garçon apporte cinq pains et deux poissons pour des milliers de personnes… un gestionnaire ordinaire laisserait tomber le dossier immédiatement… et bien le Seigneur, lui, prend ces cinq pains et ces deux poissons et fait jaillir la vie pour les autres. Il en va de même avec cette veuve et il nous demande de faire confiance. Dieu nous demande notre confiance pour avancer dans la vie ; et d’agir avec générosité même si nous avons peu ; car ce peu, le Seigneur le transforme en abondance, en surabondance.

Enfin, frères et sœurs, de tout donner ! Ne pas avoir peur de tout donner. Nous avons besoin de sécurité et nous avançons dans la vie pour sécuriser notre vie, et c’est juste. Un enfant est totalement dépendant de ses parents et donc il y a une protection de l’enfant et de l’adolescent ; devenu adulte, il y a un devoir de protection, mais fondamentalement de manière radicale notre protecteur, notre forteresse, notre roc, c’est le Seigneur Dieu et personne d’autre !

Oui, de tout donner, et surtout de se donner, de savoir faire fructifier et de faire fructifier de facto les dons que Dieu nous a donnés, que Dieu nous a confiés, sans rechercher les avantages liés à une quelconque situation sociale, religieuse, spirituelle, morale, politique. Quels que soient les avantages qu’on peut en tirer, d’avoir ce détachement et cette honnêteté morale de servir et non pas de se servir.

Frères et sœurs, que Dieu fasse de chacun et chacune d’entre nous des humbles serviteurs de sa grâce, sa grâce puissante, infinie, toujours agissante ; et cela au milieu de nos frères et sœurs éprouvés qui n’ont pas reçu en partage les mêmes avantages que nous avons reçus.

Que le Seigneur nous ouvre, ouvre notre cœur à cet esprit de justice, d’équité, de fraternité qu’il attend de nous.

Le Seigneur nous a créés à son image. Le Sang du Christ nous a rachetés en Lui et par Lui, avec Lui.

Agissons comme Lui, avec gratuité, générosité et don total.

Frère Jean-Marie, Père Prieur de Sénanque