Homélie du dimanche 13 Janvier 2019

Le Baptême du Seigneur – Année C

Par le Père René-Luc

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur – Le style oral a été conservé

 

Lorsque j’étais au séminaire à Rome, il a fallu que je constitue un petit dossier pour être ordonné prêtre. Il fallait notamment mon acte de baptême. Et j’ai eu une petite surprise : j’ai découvert sur mon acte de baptême que je n’avais pas mon nom ! Il y avait un autre nom : celui de mes frères.

Je m’explique : ma mère était en plein divorce. Elle était séparée de son mari, du père de mes frères, lorsqu’elle a rencontré mon père qui était un légionnaire de passage, une petite aventure. Elle a eu ce bébé. C’était pas du tout prévu ! Et comme le divorce n’était pas prononcé, elle a eu honte de dire que cet enfant n’était pas l’enfant de son mari légitime. Et j’ai été baptisé sous le nom du père de mes frères. Bien sûr il y a eu un procès auprès du juge pour me faire dire que c’était pas le fils légitime de cet homme. Mais c’est un sacré problème quand vous faites un dossier canonique et que vous avez pas le nom sur l’acte de baptême, votre nom.

Vingt-sept ans plus tard, après ma naissance donc quelques années après le séminaire, j’ai été ordonné prêtre et je faisais ma première Messe dans l’Église des Saintes Maries de la Mer, en présence du vieux prêtre qui m’avait baptisé ; et il me dit :

« René-Luc, quand t’as été baptisé, petit, t’étais dans une telle situation… ta maman était dans une telle situation… que je t’ai baptisé en me disant ‘mais que deviendra cet enfant ?’ »

Et puis finalement, le Seigneur m’est tombé dessus et je devenu prêtre.

Ça veut dire que : peu importe ! On sait pas ce que va devenir l’effet, la grâce du baptême, mais parfois elle peut nous surprendre !

Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jean le Baptiste dit : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais… Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ».

Ça me fait penser à un autre passage, au chapitre 19 des Actes des apôtres. St Paul arrive à Éphèse. Il trouve des disciples et il leur demande :

« Avez-vous reçu l’Esprit Saint quand vous êtes devenus croyants ? »

Ils répondent : « De quel Esprit Saint tu parles ? On savait même pas qu’il y avait un Esprit Saint ! »

« Mais quel baptême avez-vous reçu ? » demande Paul.

« Ben, celui de Jean ! »

« Mais Jean… Jean vous donnait un baptême de repentance, celui pour inviter à se purifier de nos péchés mais il annonçait déjà Jésus qui était le vrai sauveur ! ».

Et donc ils acceptent de se faire baptiser au nom de Jésus.

À peine baptisés par Paul au nom de Jésus, l’Esprit Saint leur tombe dessus ; au point, tenez-vous bien – pour ceux qui sont un peu familiers avec ce genre de discours – qu’aussitôt, « ils parlent en langues et se mettent à prophétiser ».

Alors, l’eau du baptême de Jean, le feu de l’Esprit.

Je voudrais très simplement vous proposer de réfléchir d’abord sur ce baptême d’eau que nous avons tous reçu et ensuite sur ce baptême de feu que nous sommes censés avoir reçu. Et je finirai un dernier petit mot à l’adresse de mes frères moines, en méditant très rapidement, sur la phrase du Père à son Fils « Tu es mon Fils bien-aimé ».

Commençons par le baptême d’eau.

À la naissance, nous étions tous dans une piscine ! En ce moment, Marion qui est parmi nous a un petit bébé…et bébé est un petit poisson ! Et oui, tous, nous étions dans une piscine. Notre élément naturel, c’est de l’eau. Cette poche d’eau qui va s’ouvrir et qui va libérer.

Donc évidemment quand on a entendu dans l’Épitre de Tite, ce beau passage ; dans la lettre de St Paul à Tite, il est dit : « Par le bain du baptême, il nous a fait renaitre et nous a renouvelé dans l’Esprit Saint ».

« Il nous a fait renaitre » : ça veut dire que l’eau, le premier sens de ce baptême, c’est une nouvelle naissance ! Quand on nait dans une famille, on appartient à cette famille. Si je nais d’une maman française, je suis pas né d’une maman africaine ! Quelle est ma naissance ? Au-delà de la naissance de mes parents légitimes, je nais en Dieu ! J’appartiens à la famille de Dieu. Je suis adopté à la famille divine !

C’est quand même incroyable de penser qu’un être de chair et d’os peut être élevé au sang royal, divin ! Ce n’est pas que des mots, frères et sœurs, c’est ce que nous dit St Pierre «  Par le baptême nous sommes élevés, nous sommes adoptés à la vie divine ».

Au-delà de l’aspect de la naissance, l’eau symbolise aussi la purification, évidemment. On en avait un très beau symbole autrefois, lorsque les premiers chrétiens adultes venaient se baptiser, ils arrivaient toujours habillés avec leur vieil habit ! Ils se mettaient nus – bon certainement un petit pagne quand même, par décence et par pudeur – ils descendaient dans cette piscine et ils ressortaient de l’autre côté, après avoir été baptisés, avec un habit neuf, un habit blanc : la robe blanche du baptême. Vous le voyez encore chaque année à la nuit pascale, à la veillée pascale.

Donc il est question non seulement d’une naissance mais aussi d’une purification.

L’eau.

Notre frère Jean-Marc qui est le jardinier du monastère le sait bien : lorsqu’on s’occupe des plantes et que l’on met de l’eau, l’eau semble agir mais quelques heures après, c’est comme s’il ne s’était rien passé. Surtout ici à Sénanque où le soleil est ardu ! La terre semble reprendre sa forme normale après le passage de l’eau. Et bien, il faut beaucoup de temps et d’arrosages pour qu’on commence à voir un changement avec quelques petites pousses d’herbe, de fleur, quelque chose qui se transforme.

De même, le ruisseau qui traverse l’abbaye est un ruisseau tranquille. J’ai cette joie de venir assez régulièrement ici et parfois lorsqu’on se met à côté de ce ruisseau, on entend l’eau qui murmure, elle n’est pas agressive, elle est douce.

Une vie bien réglée. Une vie paisible comme un ruisseau. Une vie apaisée. C’est le témoignage que nous donne la vie monastique. Nous qui, dans cette vie très agitée qui est la nôtre, on a l’impression qu’on est toujours en train de remuer le sable de ce ruisseau. On n’y voit pas clair.

Se poser, s’apaiser. Pour que le sable redescende et que je voie à travers l’eau. C’est certainement ce que le Seigneur attend de nous : une vie plus paisible, une vie plus apaisée. Pour mieux voir clairement quelle est notre vie.

Venons-en à notre deuxième point : le feu ; le feu contrairement à cette eau qui est sur la terre.

Ici dans la garrigue, cela peut arriver parfois (malheureusement trop souvent), il y a des feux de garrigue… tout est noir ! Quand vous passez à côté d’un terrain qui a été inondé, quelques jours plus tard, le terrain est normal. Quand vous passez à côté d’une garrigue qui a été brulée, cela dure plusieurs années, jusqu’à six, sept ans !

Mais dès les premières pluies qui succèdent cet incendie, bien souvent – nous qui sommes des gens du sud, nous avons l’habitude de voir cela – apparaissent très rapidement au milieu de ces cendres totales, quelques pousses vertes qui tranchent avec le noir, le noir de cet incendie.

Eh bien, nous aussi, nous sommes appelés non seulement à vivre la tranquillité de l’eau, une vie paisible, mais de trancher entre ma vie de baptisé avec le Christ et ma vie de non-baptisé. Il faut être dans une certaine radicalité.

Accepter de faire bruler et mourir tout ce qui est de l’ordre du vieil homme, tout ce qui nous rattache à la terre. Pour laisser pousser véritablement les germes nouveaux qui doivent se voir, qui tranchent avec notre vieil homme : de nouvelle plantes.

Avant-hier, j’étais à une sorte d’équipe Notre Dame. Il faisait froid dans cette petite maison très agréable – enfin, il faisait un peu frais – et nos hôtes avaient allumé, bien sûr, un feu de cheminée. Il y avait deux buches l’une sur l’autre. On les a un peu bougées et ça faisait de la flamme. On était là à côté de la cheminée en train de discuter sur les textes, en train de se réchauffer en même temps. Et puis au bout d’un moment la flamme, bien, elle diminue. Il restait plus que de la braise. Alors l’hôte est venu, a re-bougé un peu les buches et la flamme a resurgit et de nouveau on sentait la chaleur.

Dans notre vie spirituelle, frères et sœurs, si nous voulons que notre baptême soit aussi un baptême de feu et pas seulement un baptême d’eau, tout tranquille… il faut nous désinstaller. Il faut bouger les buches ! Et c’est souvent ce que l’on vient faire ici en retraite dans un monastère. C’est chercher ! L’Esprit Saint nous éclaire pour « comment je peux me désinstaller pour rallumer la flamme ». Afin que je sois pas simplement un baptisé de braise mais un baptisé de feu ! Un feu qui éclaire ! Un feu qui réchauffe !

Comment me désinstaller ? C’est simple. Une des pistes – en tous cas, c’est celle que j’essaie de mettre en pratique dans ma vie personnelle avec les jeunes que j’accompagne – le tisonnier, ce bâton en fer pour bouger les buches, c’est celui de la mission.

Si je suis habité : et c’est ce que font nos frères moines qui pourraient être installés dans un ruisseau tranquille et dans un feu de braise. Pour que leur vie ne soit pas que tranquillité et braise mais qu’il y ait la flamme et le feu, il faut qu’ils aient le tison de la mission. La préoccupation permanente de comment l’évangile va sortir de ces murs et rejoindre ces milliers de personnes qui viennent ici (et pour bien les connaitre, je sais que c’est une préoccupation permanente, évidemment).

Notre tison de la mission, vous qui êtes ici, frères et sœurs, quelle que soit votre vie, votre famille, vos préoccupations, votre métier et même votre âge. Quel est le tison de la mission ? Êtes-vous préoccupés par le Royaume de Dieu au-delà de vous-même ? Êtes-vous angoissés par le fait que des milliers d’hommes et de femmes ne sont plus baptisés, ou lorsqu’ils sont baptisés, ne savent même plus de quel baptême ils ont été baptisés, ni celui de Jean, ni celui de Jésus… mais un baptême rituel et traditionnel parce qu’on appartient encore à certains codes français.

Qu’est ce qui caractérise le feu ? C’est qu’il nous donne la lumière et qu’il réchauffe.

Lumière pour ma vie et pour la vie des autres ; joie, ferveur, sourire pour ma propre vie. La différence entre une vie habitée et une vie vide ! La vie habitée rayonne ! La vie habitée donne envie ! Nous devons donner envie, frères et sœurs ! Et même lorsqu’on est un moine dans une humilité, une discrétion à l’abri du regard des autres, et bien par ma propre vie, par ma propre communion avec le Seigneur… cela donne évidemment envie !

Alors, je voudrais finir avec le troisième et dernier point, après avoir parlé de ce baptême d’eau, de ce baptême de feu.

« Toi, tu es mon Fils bien aimé ; en toi je trouve ma joie. »

Permettez-moi, chers frères moines de l’Abbaye de Sénanque, cher Père Abbé, de, au Nom de Jésus, vous adresser ce simple verset. Cette parole que Jésus adresse à ses fils moines :

« Tu es mon fils bien aimé ».

C’est une relation d’amour qui s’établit et qui nourrit votre vie personnelle.

« En toi je trouve toute ma joie ! »

Oui, comme le dit Isaïe : « Le bras de Jésus rassemble ses agneaux et les porte sur son cœur ». Vous êtes des agneaux ! Vous avez accepté d’être à l’abri de ce monde pour être portés sur le cœur de Jésus. Vous êtes des hommes de câlin ! Le câlin qui se trouve notamment dans vos temps de méditation personnelle et d’oraison, d’écoute de la Parole de Dieu.

Par votre liturgie, et bien, vous faites cette fameuse berceuse que Marion va faire pour son enfant quand il va naitre, comme toutes les mamans, ici, l’ont fait. Bien souvent vous avez bercé vos enfants par des petits chants.

Et bien votre liturgie, c’est cette berceuse. Vous qui êtes le « fils bien aimé », vous êtes aussi porteurs de cette douceur de l’enfance. Et vous pouvez dire très simplement, dans, par toute votre vie, cette fameuse oraison de Fatima :

« Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère et je t’aime ; et je t’aime, je t’adore, je crois et j’espère pour tous ceux qui ne croient pas, qui ne t’adorent pas, qui n’espèrent pas et qui ne t’aiment pas ».

Continuez frères et sœurs, chers frères moines, à être ce témoignage pour nous : de votre amour très simple, très effacé. Parce qu’en vous regardant vivre votre relation d’amour à Jésus, nous sommes nous-mêmes encouragés dans notre vie une peu trop active, à nous laisser aimer à notre tour pour devenir des « fils bien-aimés ».

Conclusion, frères et sœurs, une petite réflexion pour cette semaine : le Christ se manifeste aujourd’hui dans son baptême. Toute sa vie publique est devant nous. Notre vie publique est devant nous !

Posons-nous cette question pendant toute cette semaine si vous le voulez bien :

Quel baptême j’ai reçu ?

Un baptême d’eau, parce que j’ai été baptisé petit par un Curé, quelle que soit mon histoire.

Ou un baptême de feu qui fait que je brule de l’amour de Jésus, que je désire activer le tison de la mission et que je veux vraiment pouvoir dire que je suis le « fils bien-aimé du Père ».

Amen !

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