Homélie du dimanche 13 février 2022 – 6ème Dimanche Temps Ordinaire – Année C

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

Par le Frère Jean

 

Chers frères et sœurs, nous venons d’entendre la proclamation par Jésus des béatitudes. Sept béatitudes dans st Luc, huit béatitudes dans st Mathieu.

Ces béatitudes disent beaucoup du message de la Bonne Nouvelle transmise par Jésus à ceux qui l’écoutent ; mais elles ne disent pas tout de l’Évangile ; elles en sont en quelque sorte la porte d’entrée, la porte royale. Elles sont un miroir de Jésus lui-même. Le ‘pauvre’, c’est lui ! Celui qui a faim, c’est lui ! Celui qui pleure, celui qui est haï et repoussé, c’est lui ! Celui qui exulte dans le Royaume du Père, c’est lui ! Mais elles sont aussi un miroir de ce que nous sommes appelés à devenir, à la suite de Jésus, dans la grâce de notre baptême qui a fait de nous des disciples du Christ.

Parmi ces sept béatitudes que nous venons d’entendre, je voudrais m’attarder sur la troisième : « Heureux vous qui pleurez maintenant, vous rirez ! »

On peut traduire littéralement du texte grec de l’évangile : Heureux vous qui avez aujourd’hui le penthos car vous recevrez le Parakletos ! Le penthos c’est-à-dire un cœur brisé, un cœur broyé comme dit le psaume 50 que nous avons entendu pendant l’aspersion ; vous recevrez le Parakletos, le paraclet, c’est-à-dire le Saint Esprit.

La Tradition spirituelle de l’Église – et en particulier la Tradition monastique – a toujours vu le don des larmes comme un don de l’Esprit Saint. Qu’en est-il de ce don qui peut nous paraitre étrange ? Comme si les larmes étaient à désirer ! C’est qu’il y a ‘larmes’ et ‘larmes’…

Toute la Tradition spirituelle de l’Église a demandé comme un don, comme une grâce, le don des larmes ; non par romantisme car nous avons édulcoré et dénaturé ce don spirituel, mais bien le don des larmes, don du Saint Esprit, pour deux raisons : tout d’abord parce que Quelqu’un nous manque, parce que le Fiancé de l’âme, l’Époux promis, n’est pas là et que nous l’attendons ; que nous sommes toujours en Avent, en train d’attendre la venue du Seigneur : Maranatha… Viens Seigneur Jésus !

L’autre raison est à l’inverse que nous pleurons parce que nous avons manqué à Dieu. Nos larmes ont besoin de purifier notre cœur et de laver notre visage pour demander pardon au Seigneur et pour implorer miséricorde. Au cœur de cette béatitude (Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ; heureux ceux qui ont le penthos, ils recevront le Parakletos), il y a comme un trou, une béance, un vide, nous manquons parce que nous manquons, nous pleurons.

Pour illustrer la beauté de ce don des larmes, on pourrait prendre beaucoup d’exemples dans la Tradition spirituelle, je voudrais retenir un exemple contemporain d’un journaliste que vous connaissez peut-être de nom, qui s’appelle Didier Decoin. Il écrit : « J’ai été à la Messe jusqu’à 18 ou 19 ans, mais surtout pour regarder les filles… comme vous le constatez, rien ne me prédisposait au mysticisme.

Jusqu’à cette nuit de septembre 1977, où un beau soir je me suis effondré et j’ai pleuré toute la nuit ! Mais ce n’était pas des sanglots de tristesse mais plutôt de jubilation, de joie. Je suis resté prostré à genoux au pied de mon lit toute la nuit, poursuit Decoin, comme l’aube pointait par la fenêtre, je me suis dit « Il fait ‘Dieu », comme d’autres disent « Il fait jour ! »

Nos pères de l’Église, nos Pères de la Tradition monastique, ont dit que les larmes sont un don de Dieu parmi les plus élevés, et ils nous ont recommandé de le demander au Seigneur. Celui qui désire se libérer de ses péchés, s’en libère, disent-ils, par les pleurs, et s’en préserve également par les pleurs.

Il y a d’ailleurs une oraison du Missel romain pour demander ce don qui est une prière précisément pour demander le don des larmes (qui avait disparu dans le Missel d’après Vatican II, et je suis heureux de voir que dans les nouvelles éditions des Missels à l’usage des fidèles, on trouve cette oraison), je vous la lis : « Seigneur tout puissant et très bon, tu as fait jaillir du rocher (allusion à Moïse) la fontaine d’eau vive pour ton peuple assoiffé ; nous t’en prions, fais jaillir de la dureté de notre cœur, les larmes de la componction. Alors nous pourrons pleurer nos péchés et mériter de recevoir de ta miséricorde leur rémission. »

Heureux, oui, ceux qui ont le penthos, ils recevront le Parakletos !

Et on lit dans le chapitre 2 des Actes des Apôtres, qu’après la Pentecôte, lorsque Pierre s’adresse au peuple : « Convertissez-vous ! Que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ et vous recevrez le don du Saint Esprit », et st Luc poursuit, « en entendant cela, les auditeurs eurent le cœur touché de componction », littéralement transpercé, c’est ça le penthos. Ils ont le cœur transpercé par la Parole de Dieu transmise par Pierre.

Ce mot de ‘componction’ signifie une disposition de l’âme faite de crainte et d’amour mêlés, qui prépare l’homme à la rencontre avec Dieu. Les saints sont intarissables pour remercier Dieu de la grâce de la componction. La componction n’est pas précisément le don des larmes mais celui-ci s’y ajoute par grâce. Le rôle de ce que nous appelons la componction, est d’introduire en l’âme la nostalgie du Ciel. On comprend qu’à ce thème se rattache celui des pleurs ; les larmes de la pénitence, du repentir, accompagnent toujours les larmes de l’amour ; par elles, dominent les pleurs de joie ! (Vous connaissez peut-être le mémorial de Blaise Pascal, dans cette nuit mystique qu’il a eu un beau jour de novembre, et où il termine son mémorial en écrivant « Joie, joie, joie ! Pleurs de joie ! »)

Le Seigneur Jésus est le Christ des larmes ; non pas des larmes de tristesse mais des larmes de désir, de l’amour, de celui qui court vers la personne aimée, de celui qui est tendu par l’espérance, vers la rencontre de l’autre, sachant bien que l’amour est la dépossession la plus radicale.

Mais il n’y a pas que celui qui aime, qui pleure, car il sait très bien à la mesure où il aime, qu’il ne peut jamais posséder ! L’amour le plus entier, le plus fou dont on puisse rêver, n’est pas une fusion plus ou moins maternante avec celui ou celle qu’on aime mais il est consolation.

Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés… Heureux ceux qui pleurent, ils recevront le Paraclet.

Oui, Jésus pleure au tombeau ; Jésus pleure sur Jérusalem. Et la Lettre aux Hébreux dit (parlant de Jésus) que : « Au jour de sa vie de chair, il offrit des prières et des supplications avec un cri puissant et des larmes, à celui qui pouvait le sauver de la mort. »

Il y a encore les larmes de Marie-Madeleine, signe d’un cœur qui se liquéfie ; Angélus Silesius dit d’elle : « Sa seule peine, c’est que son corps et son âme tout entiers ne puissent être que larmes. »

Les larmes de Pierre après son reniement… bienheureuses larmes !

On dit que les femmes pleurent facilement ! Souvent ce sont des larmes cutanées ! Mais elles savent aussi pleurer des profondeurs, et plus que les hommes. Pensons à Marie de Béthanie, arrosant de ses larmes les pieds de Jésus. Elle a versé, avant les apôtres, les larmes que Pierre ne comprenait pas et Simon le pharisien, encore moins.

Le prophète Isaïe nous dit que ce n’est que dans le monde nouveau et la Jérusalem céleste, que Dieu essuiera toute larme de nos yeux – passage repris par le Livre de l’Apocalypse.

Dans la langue syriaque pour désigner le mot ‘moine’, on emploie le mot ‘abila’ ; et ce mot signifie : le pleureur ! Celui qui pleure son péché (belle définition de la vie monastique dont les moines sont appelés aujourd’hui à se souvenir !)

Le pleur est en effet un acte d’humilité, il répare le péché dont l’orgueil a été le principe : c’est pourquoi sa grâce est accordée de préférence aux simples, à ceux qui savent se faire très petits. Il n’y a rien de morbide, frères et sœurs, dans le don des larmes ; le seul péché, c’est le désespoir. La tristesse chrétienne est toujours sans angoisse car jamais elle ne désespère. Les larmes font parties de l’itinéraire de la vie spirituelle, les larmes sont le langage du cœur devant Dieu.

Les moines n’oublient pas de se souvenir de cette parole de st Bernard – mais st Isaac le Syrien au VIè siècle l’avait déjà dit avant lui : « L’office du moine n’est pas d’enseigner mais de pleurer. »

Amen !

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