Chers frères et sœurs
que fêtons-nous aujourd’hui ? Comme le dit la Préface de la Messe de ce jour : “nous fêtons aujourd’hui la Cité du ciel, notre Mère, la Jérusalem d’en haut”. La distinction entre la Jérusalem céleste : celle « d’en-haut » et la Jérusalem terrestre, celle « d’en-bas », est classique dans la spiritualité chrétienne.
On la trouve déjà chez st Paul, quand il parle des deux fils d’Abraham dont l’un est né de la servante : Agar, l’autre de la femme libre : Sarah. Ces deux femmes, poursuit Paul, figurent les deux Alliances auxquelles correspondent les deux « Jérusalem » : l’une est esclave, la Jérusalem d’ici-bas, l’autre est libre : c’est celle d’en haut.
St Augustin d’Hippone a beaucoup médité sur ce sujet dans un célèbre ouvrage intitulé « La Cité de Dieu », où on lit cette phrase célèbre : « deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité de la terre ; et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la Cité de Dieu. C’est : l’un demande sa gloire aux hommes ; l’autre met sa gloire la plus chère en Dieu, témoin de sa conscience ».
Aujourd’hui, frères et sœurs, en fêtant « Tous les Saints », nos regards se portent vers la Cité d’en-haut : le Royaume des cieux où nous ont précédés tous ceux et celles qui, à la suite du Christ ressuscité, participent à la gloire de Dieu ; nous les appelons : les saints !
Il convient à ce sujet de préciser que l’ordre de la cité d’ici-bas, de ce monde, que nous pouvons appeler l’ordre politique, n’a pas vocation à transposer sur la terre le Royaume des cieux ; mais il s’agit plutôt de l’anticiper par ses avancées dans le domaine de la justice, de la solidarité, de la paix, mais il ne saurait vouloir l’instaurer ici-bas par la contrainte. Dans l’Ancien Testament que nous appelons « la première Alliance », la loi divine par Dieu était aussi la loi du peuple d’Israël. Dans le Nouveau Testament, ou « seconde Alliance », instauré par Jésus, il y a une autonomie relative des ordres religieux et politiques ; cette autonomie voulue par le Christ, et manifestée par cette parole si importante qu’il dit un jour à ses disciples : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Je dis « autonomie relative » parce que la frontière entre ces deux cités, celle d’en haut et celle d’en bas, est perméable. Là encore, l’Église pour enseigner cela, s’appuie sur l’orfèvre en la matière : st Augustin, qui disait qu’il existe entre ces deux cités un mélange complexe, la frontière passant aussi dans le cœur de chaque homme.
Augustin nous enseigne que la cité des hommes ne se découvre, et prend tout son sens, qu’à l’intérieur de la cité de Dieu. « Si la cité des hommes s’évade de sa propre intériorité qui est divine, elle devient, dit Augustin, démentielle.
Elle est alors incapable de donner sens à la mort, et donc de contribuer au véritable bonheur de l’homme.
Le Concile Vatican II, dans sa constitution sur l’Église, nous rappelle, je le cite : « Les disciples du Christ appelés par Dieu, non au titre de leurs œuvres, mais au titre de son dessein gracieux, sont véritablement devenus par le baptême de la foi, fils de Dieu, participants de la nature divine, et par-là même, réellement saints ». Quand st Augustin prêchait dans sa cathédrale d’Hippone, il s’adressait à son auditoire en disant : « Vous, les saints de Dieu ! »
Le Pape François s’est plu au début de son pontificat, à rappeler la parole d’un écrivain, qui voyait chez les saints, l’incarnation concrète de l’amour de Dieu. Non seulement en ceux que nous appelons les grands saints : st Augustin, st Jérôme, tant d’autres… mais aussi en ceux qu’il appelle « les classes moyennes de la sainteté » : « les saints, dit-il, des hauteurs intermédiaires que peuvent atteindre les alpinistes normaux que nous sommes ».
Un saint, frères et sœurs, n’est pas celui qui accomplit de grandes entreprises en se fondant sur l’excellence, sur la performance, de ses qualités humaines, mais bien plutôt celui qui permet avec humilité au Christ, de pénétrer son âme, d’agir à travers sa personne, d’être Lui-le Christ, le véritable acteur de toutes ses actions et de tous ses désirs, Celui qui inspire toute initiative et qui soutient tout silence.
« Le saint, dit Saint-Bernard, est un homme vulnérable tout comme nous, formé de la même argile que nous. Pourquoi jugeons-nous alors, non seulement, difficile mais impossible, de faire à notre tour, ce qu’il a fait, et de marcher sur ses traces ? »
Qu’est-ce qu’être saint, pour une créature, sinon d’adhérer à Dieu, au maximum de ses capacités… C’est remplir dans le monde organisé autour du Christ, la fonction exacte, humble, ou éminente, à laquelle, par nature et par surnature, elle est destinée.
On a pu parler de la « science des saints », signifiant par-là, leur intuition des mystères de Dieu ; leur sagesse, don de l’Esprit Saint, faisant d’eux une référence pour le saint peuple de Dieu. Saint Jean-Paul II disait que la sainteté est la mesure élevée de la vie chrétienne ordinaire.
En ce jour, frères et sœurs, où nos voix se mêlent à l’assemblée céleste qui, jour et nuit, chante ce qu’Augustin appelait le « firmus cantus » : le chant nouveau qui résonnera tout à l’heure à la fin de la Préface : « Saint ! Saint ! Saint ! Le Seigneur Dieu de l’univers, le ciel et la terre sont remplis de ta gloire »
« Toute vie de saint est comme une nouvelle floraison de printemps », pour reprendre l’expression de Bernanos.
Que notre vie de chaque jour, frères et sœurs, soit à la hauteur de la vocation divine dont le Christ nous a revêtus,
À Lui soient la gloire et la royauté pour l’éternité, Amen !