Chers frères et sœurs,
Nous fêtons aujourd’hui Saint Bernard de Clairvaux, qui est rentré à l’abbaye de Cîteaux, fondée en 1098 par Saint Robert, Saint-Alberic et Saint-Etienne, que nous avons nommés dans la Litanie des Saints, à l’entrée de cette messe. Bernard, qui n’est pas le fondateur de l’Ordre de Cîteaux mais qui est l’une des figures les plus illustres. Il est rentré à Cîteaux en 1115 et quelques années plus tard, il a été envoyé par son Père Abbé, fonder l’abbaye de Clairvaux, dans l’Aube, pas loin de Colombey les deux Églises.
Il est une grande figure de la vie monastique, et Bernard est un homme qui avait une profonde conscience de sa petitesse et d’être le serviteur de Dieu.
C’est Raïssa Maritain, l’épouse d’un célèbre philosophe du début du 20e siècle, qui écrit : « J’aime les saints parce qu’ils sont aimables et les pécheurs parce qu’ils me ressemblent !». Voilà une parole de sagesse ! Et sa presque contemporaine sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dit dans ses écrits qu‘elle ne veut point se lever de cette table remplie d’amertume où mangent les pauvres pécheurs.
Tout cela pour dire, frères et sœurs, que tous les saints ont toujours eu une grande conscience de leur pauvreté, et surtout du fait que tout ce qu’ils étaient, ils le recevaient de la main de Dieu. Et je pense que saint Bernard, aujourd’hui dans le Ciel, se réjouit de ce que l’évangile qui vient d’être proclamé (qui a été choisi pour sa fête), parle de l’époux et de l’épouse. Lui Bernard qui a si souvent partagé, médité sur le thème de la relation de l’âme avec Dieu. « Celui qui a l’épouse est l’époux, nous disait Jean-Baptiste, quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux ». L’apôtre Jean qui a écrit cet évangile (qui vient d’être proclamé) devait avoir en tête en écrivant cela « le Cantique des cantiques » que nous avons entendu dans la Première lecture, que je cite : « Dans les rues et sur les places, dit l’épouse, je chercherai celui que mon cœur aime ; je l’ai cherché mais ne l’ai point trouvé ».
La Tradition de l’Église ne manque pas, frères et sœurs – en particulier dans la vie monastique mais pas seulement dans la vie monastique – de citer, de commenter ce livre du Cantique des cantiques de l’Ancien Testament. Déjà Origène, l’un de nos Pères dans la foi au troisième siècle écrivait : « Écoute le Cantique des cantiques et hâte-toi de le comprendre en profondeur et de dire avec l’épouse, ce que celle-ci dit, afin que tu entendes ce qu’elle-même a entendu ». Le mariage, les noces entre l’âme ‘épouse’ et l’Époux qu’est le Christ, ces noces qui ont été scellées entre l’Église et le Christ, et dans l’Église entre chacun de nous et le Christ. « Personne d’entre nous, dit saint Bernard, n’oserait s’arroger la qualité d’épouse ; mais comme nous sommes d’Église, ce que nous possédons intégralement tous ensemble, c’est sans contradiction que nous y participons chacun personnellement ».
Bernard dit ici une vérité, frères et sœurs, qui est au cœur de ce que l’Église croit et enseigne, à savoir : que la sainteté de l’Église n’est pas un trésor enfoui dans les archives du Royaume des cieux, mais que la sainteté circule dans tous les membres du Corps mystique auquel nous avons été agrégés par le baptême. Saint Jean de la Croix des siècles plus tard, au XVIIe siècle, pourra s’écrier à son tour en sa belle langue castillane, je le lis ici en français : « Les cieux sont à moi, la terre est à moi, la mère de Dieu est à moi, les anges sont à moi ; et les saints ; et les pécheurs. Tout est à moi parce que Jésus-Christ est à moi et tout est pour moi ! ». Voilà une parole de feu !
On remarquera, frères et sœurs, que les saints et les pécheurs sont tous mis, si j’ose dire, dans le même sac.
On rejoint ici Raïssa Maritain (citée au début de cette homélie) : « J’aime les saints et les pécheurs parce qu’ils me ressemblent ». Qu’est-ce qu’un saint finalement si ce n’est un pécheur pardonné !
Tous les saints, les ‘grands’ comme les ‘petits’, ont une grande conscience d’être des pécheurs pardonnés. Nous l’avons entendu ce matin à l’office de Vigile dans ce monastère de la bouche de Saint Bernard que je cite : « Quant à moi, qui est l’apparence d’un moine et d’un citoyen de Jérusalem, mes péchés sont certes cachés, couverts d’ombre par le nom et l’habit monastique. Aussi faudra-t-il qu’ils soient l’objet d’une recherche et d’un tri minutieux pour les tirer des ténèbres et les produire à la lumière ».
Ce que la sagesse populaire a traduit en ces termes « l’habit ne fait pas le moine ! » – On peut ajouter, qu’il y contribue !
Bernard fut un grand amoureux de la Parole de Dieu. On connaît son grand commentaire du Cantiques des cantiques dont nous avons lu un extrait dans la Première lecture. Il écrit précisément dans ce commentaire : « Je me soucie bien moins des textes à commenter que du cœur à imbiber d’amour ». Bernard lit la Sainte Écriture et nous sommes appelés à le faire à sa suite dans une attitude de prière ; fidèle en cela à ce que disait son lointain prédécesseur Saint Jérôme : « Priez-vous ? Vous parlez à l’époux. Lisez-vous, c’est Lui qui vous parle ». Et Bernard écrit encore : « Dans les mouvements, les sentiments et les affections de l’âme, l’amour est le seul où la créature puisse, sinon rendre au Créateur autant qu’elle reçoit, du moins la même chose »
« Les moines ne s’usent pas facilement, disait encore Saint Bernard, car plus ils avancent en âge, plus ils croissent en ferveur, et leur course s’accélère au fur et à mesure qu’ils approchent de la palme de la victoire ».
Épilogue : Chacun de nous aurait eu à cœur de célébrer cette fête dans l’église de notre abbaye de Sénanque qui reflète dans son architecture, qui reflète si bien l’esprit de Saint-Bernard. Puissions-nous trouver consolation dans ces lignes que Thomas Merton (un célèbre cistercien franco-américain du XXème siècle) écrivait à propos de notre église de Sénanque : « Une église telle que Sénanque est née de la prière et est une prière. Nos Pères dans la vie monastique qui l’ont bâtie, n’ont pas gaspillé des mots pour s’adresser à Dieu ou aux hommes. De même, ils n’ont rien gaspillé pour leur bâtiment. Ils n’ont perdu ni temps ni pierre par goût du sentimentalisme ou par respect d’une fausse et arbitraire forme de piété pour l’art. Ils savaient qu’une construction de bonne qualité serait une meilleure louange envers Dieu qu’une mauvaise »… Paroles prémonitoires…
Qu’en tout lieu et en tout, par l’intercession de notre Père Saint Bernard, Dieu vienne en aide à chacun de nous, et que Bernard nous entraîne dans cet amour de Jésus si fort en lui, si brûlant, et que sa prière nous rende toujours plus dignes de porter le nom de chrétiens.
Amen