Chers frères et sœurs,
Les lectures de ce jour nous parlent de la foi comme d’un dépôt à garder. Paul écrit à Timothée : « Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté avec l’aide de l’Esprit Saint qui est en nous ». Et les apôtres font la demande suivante à Jésus : « Augmente en nous la foi », Jésus leur donne l’exemple de la petite graine de Sénevé (moutarde) qui est capable de grandes choses jusqu’à déraciner un arbre. Le dépôt de la foi, la Tradition de l’Église le nomme aussi « la règle de foi », c’est-à-dire la fidélité des croyants à la vérité de l’Évangile à laquelle rester fidèles, à la vérité spécifique sur Dieu et sur l’homme à conserver et à transmettre. La Tradition veut dire non pas « garder » seulement, mais « transmettre ».
Les apôtres en faisant cette demande, Augmente en nous la foi, ont conscience que celle-ci est bien un Don reçu du Seigneur, de son Esprit, et que celle-ci ne grandira pas d’elle-même sans leur coopération active. Comme disait si bien Saint Augustin : « Dieu qui t’a créé sans toi, ne te sauvera pas sans toi ».
Oui frères et sœurs, on n’a pas la foi comme on a du courage. La foi est souvent pleine de blessures, de fractures, à travers lesquelles on avance, on recule. L’un de nos pères dans la vie monastique, Saint Jean Climaque, dit que : « L’homme de foi n’est pas celui qui croit que Dieu peut tout, mais celui qui croit pouvoir tout obtenir ». « Toujours simple … comme disait Tertullien … la foi sort l’homme de lui-même. Elle saisit la miséricorde de Dieu offerte dans le Christ Jésus ». L’évangéliste Saint Marc dans son chapitre IV, a quatre petites paraboles qui nous parlent à merveille de cela : celle de la lampe sous le boisseau, celle du semeur, celle de la semence qui pousse d’elle-même et celle du grain de Sénevé … nous dit ce qu’il faut faire dans les temps difficiles.
Tout d’abord, semer, même quand on appréhende des obstacles : un sol rocailleux, des buissons d’épines, des bords de sentiers foulés aux pieds, une couche d’humus trop mince. La graine semée trouvera toujours un chemin vers la bonne terre et y produira 30, 60, 100 pour un. Donc semer, et se faire aussi peu de soucis que le laboureur qui, après les semailles, s’en va tranquillement dormir. Car d’elle-même, la semence germe et pousse ! Semer : même si la semence est aussi minuscule qu’une graine de Sénevé, elle pousse et devient un grand arbre où les oiseaux du ciel peuvent nicher. Et enfin à ne pas oublier : quand vous avez allumé une lampe, ne la dissimulez pas, mais laissez-la éclairer. La foi est notre arme car elle est l’arme de l’Église. L’Église qui comme le juste Habacuc « vit par sa foi ». Si Rome a cessé depuis longtemps d’être caput mundi, la capitale du monde, elle doit rester la capitale de la foi ! Non seulement de l’orthodoxie de la foi, mais aussi de l’intensité et de la radicalité de la croyance. C’est ce que les fidèles saisissent immédiatement chez un prêtre ou un pasteur : « s’il y croit ! »
S’il croit en ce qu’il dit et en ce qu’il célèbre. Aujourd’hui, on fait beaucoup usage de la transmission sans fil (Wifi en anglais). La foi aussi se transmet de préférence ainsi : sans fil, sans beaucoup de mots et de raisonnements, mais par un courant de grâce qui s’établit entre deux personnes. Et l’évangile de ce jour nous parle aussi de ce serviteur (doulos en grec, qui signifie aussi « esclave ») … ce serviteur, cet esclave, qui après avoir gardé les bêtes ou labouré les champs, doit changer de tenue sans même se reposer un instant pour préparer le repas de son maître et le servir. Toute la difficulté de cette parabole est dans le sens qu’on donne à « simple serviteur », traduit ailleurs dans d’autres contextes par « serviteur inutile », ou bien « à qui on ne doit rien », ou bien « qui n’a fait que son devoir » ; « nous sommes de simples serviteurs, nous n’avons fait que notre devoir ».
Dans le contexte de l’époque (dans la Bible) cela est courant. On lit par exemple dans le livre du Siracide : « à l’âne le fourrage, le bâton, les fardeaux ; aux serviteurs (doulos) le pain, le châtiment, le travail ». Parole équilibrée, il est vrai, par un autre passage de Sirac le Sage : « ne maltraite pas l’esclave qui travaille honnêtement, ni le serviteur qui se dévoue ».
Les apôtres, frères et sœurs, tiendront à honneur ce titre de serviteur pour imiter le Maître et Seigneur qui leur a lavé les pieds avant la Cène, Lui « le Maître et Seigneur », et qui les a librement appelés à « prendre son joug ». À leur tour, comme Jésus, ils se dévoueront totalement à son service comme ses esclaves, comme ses serviteurs.
Le Christ n’est pas venu pour régler nos questions sociales, mais pour instaurer le règne de Dieu en prenant la condition d’esclave, comme dit Paul dans la Lettre aux Philippiens. « Qui m’a établi, dit Jésus, pour être votre juge ou pour faire vos partages ? » … Je ne suis pas venu pour cela ! Le grain de sénevé broyé par la Passion, c’est Lui, Jésus. Le serviteur « livré » pour nous en son corps et en son âme jusqu’aux supplices de la croix, c’est Lui, Jésus.
Déjà, par la création, nous tenons notre être de Dieu : c’est parfaitement gratuit ! Tous les êtres créés n’ajoutent rien à la perfection de Dieu. Et pourtant Dieu a voulu en instituant son Église, que nous poursuivions dans le monde son œuvre de salut. Par sa mort et sa résurrection, il a tout fait « en profondeur » ; mais il veut avoir besoin des serviteurs inutiles que nous sommes, pour l’extension de son Royaume.
Paradoxe, frères et sœurs, de cette inutilité fondamentale et du « vouloir de Dieu » de nous donner d’être des hommes libres qui exercent une action réelle dans le monde. Oui, Dieu a voulu avoir besoin des hommes, mais des hommes serviteurs comme Lui, jusqu’à la transmission de la vie divine par les sacrements ; « tous les péchés que vous remettrez sur terre, seront remis au ciel ». « En tous ces pauvres (« Lazare ») que je vous ai laissé soulager, nous dit le Seigneur, c’est moi que vous avez servi ».
Le Pape Saint Grégoire le Grand avait bien compris cela quand il disait de son ministère de successeur de Pierre : « Je suis le serviteur des serviteurs de Dieu ».
Ce chemin qu’ont parcouru les apôtres, frères et sœurs, est aussi celui de l’Église, donc celui de chacun d’entre nous en particulier. Que l’exemple des apôtres et des saints, ainsi que leurs prières, nous entraîne sur ce chemin. Amen !



