Chers frères et sœurs
Il existe un vieil adage dans l’Église qui dit que « l’Eucharistie fait l’Église » … mais on pourrait dire avec autant de vérité que « l’Église fait l’Eucharistie ». Car comment l’Eucharistie pourrait être rendue présente parmi le saint Peuple de Dieu s’il n’y avait des « ministres ordonnés » (en l’occurrence des évêques et des prêtres) qui de génération en génération à travers le temps, refont ce que le Christ leur a ordonné de faire, le geste, et dire les paroles que Paul (nous avons entendu la 2ème Lecture) nous a transmis : « la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain … après le repas, il fit de même avec la coupe (…) Faites cela en mémoire de moi ».
Ce n’est pas un conseil que Jésus donne à ses apôtres, c’est un commandement. « Faites ceci en mémoire de moi ».
Paul dit, dans ce même passage que nous avons entendu, qu’il transmet « ce qu’il a reçu du Seigneur ». Transmettre. « Un acte de tradition », comme disent les théologiens. Tradition, c’est-à-dire transmettre. Paul dit qu’il transmet ce qu’il a reçu. Il n’est ni l’inventeur, encore moins le propriétaire de ce qu’il transmet, il en est le ministre, le serviteur ou selon le mot grec employé par les évangiles, le diakonos, le serviteur.
Il est important dans l’Église que tous ceux qui exercent un ministère quel qu’il soit, non seulement le ministère de l’Eucharistie, mais tous les ministères (y compris les plus humbles, comme celui par exemple de la brave dame qui chaque dimanche dans la paroisse fleurit l’autel), comprennent qu’ils sont tous serviteurs dans l’Église dont le Christ seul est la Tête, c’est-à-dire le Grand Prêtre. Alors si cela se passe ainsi, il n’y a plus ni rivalité, ni recherche de pouvoir, parce que chacun tient la juste place que le Seigneur lui a assignée, dans un esprit de service à la suite de Jésus qui le premier s’est fait serviteur de son Père et serviteur des hommes.
L’apôtre Paul nous a rappelé que ce geste de rompre le pain et de bénir la coupe, Jésus l’a fait à un moment précis et ce n’est pas par hasard : la nuit même où il fut livré. Ce mot de « livré » dans les récits de la passion des évangiles est toujours lié à la passion douloureuse du Seigneur. Ce geste de rompre le pain et de bénir la coupe est étroitement lié à ce qui, quelques heures plus tard, sur le bois de la croix va s’accomplir : « Un soldat lui perça le côté, nous dit Jean, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau », geste en lequel les Pères ont vu la figure de l’Eucharistie : le sang, et du baptême : l’eau ; et tant et tant de saints se sont nourris et ont répercutés cette figure et cette réalité (je pense notamment à Ste Faustine et à bien d’autres).
La Messe, le sacrement de l’Eucharistie, comme dit st Augustin, renouvelle l’évènement de la croix en le célébrant et non en le réitérant, et on le célèbre en le renouvelant et non pas en le rappelant seulement.
Tout au long de l’histoire du Salut, l’Eucharistie est présente parmi nous et dans le monde de trois manières différentes :
elle est présente dans l’Ancien Testament comme figure ; nous avons entendu dans la première lecture, Melchisédech qui offre à Abraham du pain et du vin ; les Pères de l’Église ont vu dans ce geste de Melchisédech, Roi de Salem, c’est-à-dire Roi de Jérusalem, une préfiguration, une annonce, une figure de l’Eucharistie.
L’Eucharistie est aussi présente dans le Nouveau Testament mais comme un évènement qui est toujours un « aujourd’hui », l’Eucharistie n’est pas un acte du passé, il est sacramentellement rendu présent dans chaque Eucharistie hic et nunc, ici et maintenant.
L’Eucharistie, enfin, est présente durant tout le temps de l’Église comme étant le sacrement. Et ce sacrement accompagne et accompagnera l’Église jusqu’à la fin des Temps, comme elle accompagne chacune de nos vies chrétiennes jusqu’à la Pâque de notre mort.
Cette nourriture de l’Eucharistie, frères et sœurs, est une nourriture spirituelle. Elle nous unit au Christ, mais aussi par elle, le Christ s’unit à nous. Saint Bernard de Clairvaux dit de Dieu ces paroles étonnantes : Sa nourriture c’est moi-même, et il poursuit, pour que notre union soit entière et parfaite, il faut qu’il me mange afin que je sois en lui et que je le mange aussi pour qu’il soit en moi. Car comme tous les sacrements, l’Eucharistie est un sacrement de la foi, c’est-à-dire qu’il ne peut porter tout son fruit que s’il est reçu avec foi et amour de la Personne de Jésus qui se donne en lui. Dans les sacrements, il n’y a rien de magique ; c’est même à l’inverse de la magie.
C’est bien ce que nous demandons aujourd’hui au Seigneur Jésus : d’augmenter notre foi en Lui présent dans l’Eucharistie. Le fait que ce sacrement soit perçu avec les yeux de la foi, comme tous les sacrements, évite de « chosifier » l’Eucharistie. On ne possède pas l’Eucharistie, c’est elle qui nous possède. On la reçoit avec humilité et avec action de grâce, et le baptême en est la porte d’entrée. Ce n’est pas, frères et sœurs, notre pauvre foi qui fait que Jésus est rendu présent dans le pain et le vin consacré mais sans foi en celui qui le reçoit, l’Eucharistie ne peut porter du fruit.
On comprend la demande que les apôtres firent un jour au Seigneur et qui est la même demande que nous faisons aujourd’hui pour chacun d’entre nous : « Seigneur, augmente en nous la foi ». C’est dans ce même ordre d’idée qu’au matin de Pâques, à Marie de Magdala qui voulait le retenir ici-bas, Jésus dit : ne me retiens pas. « Ne me retiens pas car désormais tu me rejoindras de façon encore bien plus grande avec les yeux de la foi et de l’amour. Tu me saisiras plus sûrement encore par la foi et par l’amour que si j’étais encore ici-bas auprès de toi ».
Le Pape Benoît XVI de sainte mémoire a pu écrire que toute grande réforme de l’Église est toujours liée d’une certaine manière à la redécouverte de la foi en la Présence eucharistique du Seigneur au milieu de son peuple. Et on peut dire que c’est une grande joie de l’Église aujourd’hui (en particulier depuis une cinquantaine d’années) que les fidèles ont redécouvert et continuent de redécouvrir le sens et la beauté de l’Adoration eucharistique en dehors de la Messe. Nous avons la grâce ici dans notre monastère, six jours sur sept, d’avoir un temps d’Adoration de Jésus présent dans l’Eucharistie. Et c’est beau. Toute grande réforme de l’Église est liée à la redécouverte de la foi en la Présence eucharistique du Seigneur.
Que cette solennité, frères et sœurs, fasse grandir notre foi en la Personne de Jésus qui ne cesse de se donner à nous, non seulement dans les sacrements, mais chaque fois que nous nous tournons vers Lui. Car, nous a-t-il dit, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
Saint Ignace d’Antioche, grand évêque martyr, au début du IIe siècle, disait que : « La vie selon le Jour du Seigneur, était désormais la caractéristique définitive des chrétiens ».
Pour nous, notre jour, c’est le Jour du Seigneur.
Devenons ce que nous recevons dans l’Eucharistie et rendons grâce au Seigneur. Amen.