Chers frères et sœurs,
Nous avons entendu le prophète Isaïe nous inviter à ne plus faire mémoire des événements passés… Car, dit le Seigneur, voici que je fais une chose nouvelle. Cette grande nouveauté annoncée par le prophète Isaïe, elle se réalise avec l’incarnation du Fils de Dieu venu pour sauver l’homme.
Nous y sommes tellement habitués que cela nous semble normal ! Que Dieu en son Fils soit crucifié ne nous surprend plus trop ! Car c’est cet événement bouleversant dans l’histoire de l’humanité que nous allons célébrer à nouveau dans quelques jours. Cet événement, « la Pâque du Seigneur », comme dit Saint-Grégoire le Grand : nous la célébrons tous les ans pour parvenir à sa célébration non pas annuelle mais éternelle. Cet événement de Dieu qui vient sauver l’homme de la fange du péché est au cœur du récit de la « femme adultère » que nous pourrions plus légitimement, pour reprendre l’expression de Saint Augustin, appeler « la rencontre de la misère et de la miséricorde ». Ce récit nous enseigne que dans l’agir de Dieu, il n’y a jamais de révélation sur le péché en dehors d’une révélation du Salut ! S’arrêter au péché, c’est s’arrêter en chemin. Regarder le Salut, c’est saisir la fin de toute chose. L’évangile de Jean en ce récit pose d’emblée une question : pour qui est la véritable épreuve ? Pour la femme ou pour Jésus ? Car Jésus et la femme, par la machination des hommes, se trouvent enfermés dans une situation semblable. La femme est encerclée, menacée par des hommes « mâles », d’autant plus que le mari, l’amant et des témoins de son forfait, sont lâchement absents. Quant à Jésus, il subit de la part des hommes une tentative de prise au piège, une mise en contradiction avec la Torah. Cette épreuve est dévoilée comme satanique ; fait qui renvoie tous les acteurs du récit et le lecteur au choix fondamental entre la vie et la mort, énoncée au Jardin d’Éden et dans le livre du Deutéronome où nous nous lisons : Je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction ; choisis donc la vie !
Les images stéréotypées dans ce récit de la femme mauvaise, pécheresse, tentatrice et prostituée, et celles de l’homme bon, juste, innocent et juge de toutes choses, sont dépassées par Jésus qui se baisse et qui se relève. En effet, c’est Lui, l’homme « mâle », qui subira les coups des hommes jusqu’à la mort pour entraîner l’humanité pécheresse vers la résurrection bienheureuse. Le pardon des péchés, frères et sœurs, est au cœur de la mission du Christ et de l’Église aujourd’hui. Jésus l’affirme avec force, par exemple, lors de la guérison du paralytique de Capharnaüm : Quel est donc le plus facile, dit Jésus, dire « tes péchés sont remis » ou bien dire « lève-toi et marche » ? Eh bien, pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, « lève-toi », dit-il au paralytique, « prends ton lit et va-t’en chez toi ». Pour bien comprendre, ce qu’est le pardon dans la logique évangélique, il est important de regarder comment Jésus se comporte avec les pécheurs. Il n’affiche pas à leur égard une attitude hautaine, moralisatrice ou méprisante.
Il prend l’initiative d’aller visiter les personnes prisonnières de leur faute, puis, une fois avec elles, il les valorise en les mettant, en se mettant, dans une situation de celui qui reçoit. Par exemple, avec la samaritaine : il lui demande à boire. Quand il voit Zachée, le publicain : il s’invite chez lui. Quant à Marie-Madeleine, Marie de Magdala : il lui laisse baiser, baigner ses pieds de parfum.
Avant même de parler de pardon, Jésus commence par établir une relation de personne à personne. C’est donc dans l’accueil fondamental de la personne en tant que telle que Jésus manifeste son pardon.
En effet, la sainteté dont Jésus témoigne n’est pas une sainteté de séparation, comme les Pharisiens dont le nom en hébreu « pharisien » signifie « séparer », mais une sainteté d’alliance, une sainteté de communion, point ultime de la révélation du Nouveau Testament et manifestation de cette sainteté de communion qui existe au sein même de la Trinité, entre le Père, le Fils et le Saint Esprit. À la différence de la justice des Pharisiens qui leur fait considérer les autres avec mépris, celle de Jésus n’est jamais écrasante pour ceux qu’elle rencontre. Il n’est pas d’abord un accusateur – c’est le Diable qui est un accusateur – mais il est Celui qui aime à fond ceux qu’il rencontre, leur révélant que le dernier mot sur leur vie n’est pas le « non » de la rupture, mais le « oui » de l’amitié réconciliée.
Revenons sur le récit de la femme adultère. On peut y discerner trois façons de se situer par rapport au péché. La première : le péché, c’est ce qui va contre la loi, c’est l’attitude des Pharisiens qui accusent cette femme. À ce niveau-là, le seul moyen de s’en sortir, c’est d’acquitter la peine prévue. La deuxième façon, c’est celle de Jésus qui déplace la question en posant une question : que celui qui n’a pas péché lui jette la première pierre… Là, il ne s’agit plus de juger de l’extérieur ; Jésus déplace le débat en faisant appel à la conscience de chacun. À ce niveau-là, on est bien obligé de reconnaître que l’on n’est pas meilleur que les autres ! Les accusateurs l’ont compris, et l’évangile de Jean commente par une phrase qui plaît beaucoup aux jeunes : Ils se retirèrent en commençant par les plus vieux... Mais Jésus n’en reste pas là, révélant alors ce qu’est pour lui le péché ; à savoir, non pas une faute contre la loi ou contre la conscience, mais plus profondément une rupture de relation, ou bien une relation faussée. Cette femme a trahi la relation juste qu’elle avait à vivre avec son mari, et cette rupture l’a conduite à une autre rupture envers son entourage, qui a rompu toute relation avec elle. Comment s’en sortir ? La seule solution, c’est de rétablir une relation juste. Or, vous aurez remarqué que personne n’a adressé la parole à cette femme pendant le débat ; on l’a traitée comme une chose : le corps du délit. Or Jésus, lui, lui adresse la parole. Et là se joue, frères et sœurs, quelque chose de capital. Il la regarde comme un être responsable, qui a fait le mal certes, mais qui peut aussi faire le bien. Car le dernier mot sur sa vie n’est pas le mal qu’elle a fait, mais c’est l’Amour de Dieu pour elle qui lui révèle qu’elle vaut plus que le mal qu’elle a fait. Cela est important, et dans notre société, on peut dire que ça a été la grande découverte lorsque la peine de mort a été abolie dans notre pays et dans d’autres, parce qu’on considère que toute personne, quel que soit le mal qu’elle ait fait, est plus grande que le mal qu’elle a pu commettre. Et ça, c’est très beau !
Le pardon de Jésus n’est ni un acquittement, ni une excuse, mais un accueil en vérité du pécheur avec tout ce qu’il est ! Alors, frères et sœurs, nous pouvons déjà chanter dans le cœur ce verset du psaume 88 qui sera si souvent repris pendant le Temps Pascal : Misericordias Domini in aeternum cantabo ! … Je chanterai sans fin les miséricordes du Seigneur ! Amen !