Chers frères et sœurs, avec cette page d’évangile, nous voici à nouveau affrontés à la grande question du Mal et de la souffrance dans le monde.

Si les Galiléens ont été massacrés, pensaient les compatriotes de Jésus, c’est sûrement qu’ils étaient des pécheurs ! C’est donc un châtiment de Dieu que leur mort ! Et les 18 personnes tuées par la chute de Siloé, c’est qu’elles étaient en faute !

Cette affirmation du lien entre la méchanceté et le malheur court tout au long de la Bible, y compris dans les Évangiles, par exemple, au récit de « l’aveugle-né » en Saint Jean : « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit aveugle ? Lui ou bien ses parents ? » ; et puis ces nombreux malades qui venaient au-devant de Jésus, lépreux, aveugles, paralysés, qui à cause de leur maladie, étaient mis au ban de la société – parce que s’ils étaient ainsi, c’était qu’ils étaient sûrement de grands pécheurs ! – et jusqu’à Job, avant Jésus-Christ, qui crie vers Dieu du fond de sa détresse, sur son fumier : « C’est pourquoi je ne peux retenir ma langue, dans mon angoisse je parlerai, dans mon amertume je me plaindrai ».

Quelle réponse, frères et sœurs, apporter à tous ces cris d’hier comme aujourd’hui, qui sont souvent des cris de révolte, d’incompréhension ? Pourquoi tant de malheur ? Pourquoi tant d’innocents massacrés ? Pourquoi ? Pourquoi ? On connaît la réponse de Job au Seigneur, à la fin du Livre qui lui est consacré : « Moi qui suis si peu de chose, que pourrais-je te répliquer ? Je mets la main sur ma bouche. J’ai parlé une fois, je ne répondrai plus ; deux fois, je n’ajouterai plus rien ». Mais il faut avouer que la réponse de Job, aussi admirable soit-elle, ne nous satisfait pas complètement, car la raison cherche à comprendre.

Or, l’évangile remet cette question, du Mal et de la souffrance, dans un ensemble indissociable où chacun cause et subit tout à la fois les effets produits par tous, et par l’ensemble de la société dont nous sommes tous membres. L’évangile nous fait sortir d’une perspective purement individualiste. Parce que les malheurs subis ne proviennent pas exclusivement de ceux qui en sont accablés, alors chacun doit faire pénitence sous peine que tous périssent également. Cet appel à la pénitence de tous, nous le retrouvons jusqu’à nos jours dans les messages de Lourdes, de la Salette, de Fatima. Oui, toute destinée est à la fois personnelle et solidaire des autres, parce que, frères et sœurs, nul n’est une île.

Nous profitons aussi du bien qui est fait par d’autres dans le monde et dont nous sommes bénéficiaires alors que nous n’y sommes pour rien. C’est ce que, dans le langage chrétien, on appelle la « communion des saints ».

Les cris vers Dieu, mais aussi les révoltes comme celles de Job, font partie de notre itinéraire spirituel. Les Saintes Écritures nous disent que ce qui distingue Israël de tous les autres peuples, est qu’il n’a cessé, envers et contre tout, à croire en la bonté et en l’amour de Dieu.

Et Israël n’avait pas la Lumière que nous avons, Lumière qui nous est manifestée par l’incarnation de Dieu en son Fils Jésus-Christ. Nous comprenons maintenant un peu mieux que la seule réponse à la douleur de Job, et de tous les Job de ce monde, face à sa douleur immense et innocente, c’est la Passion de Jésus. Et l’Évangile, frères et sœurs, nous appelle aussi face à cette question, de « pourquoi le mal, pourquoi la mort ? », à la patience et à l’espérance. Car nous le savons, comme dit Saint Paul dans la lettre aux Romains : la création toute entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement, et que la réponse est donnée par la vie, la mort du Fils de Dieu ; Dieu qui, dit encore Paul, n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous. Le Christ Jésus peut mettre sur ses propres lèvres, fait sienne, ces paroles du psaume 9, en les adressant à son Père : « Tu as vu, tu regardes le mal et la souffrance, tu les prends dans ta main ».

Mais, frères et sœurs, à l’adresse de tous ceux qui ne connaissent pas ou n’adhèrent pas à la révélation chrétienne, quelles réponses pouvons-nous donner au Mal et à la souffrance … car le mal ne devrait pas exister.

Pour nous, croyants, nous savons par Jésus et par les auteurs du Nouveau Testament, ils nous en ont averti, que le mystère du mal, le mysterium iniquitatis, se déchaîne dans le monde en des formes parfois macroscopiques, ou parfois toutes banales mais souvent plus crucifiantes dans la vie quotidienne ; l’histoire, oui, nous le savons, est marquée par le Mal.

Nous sommes, pour notre part, disciples du Christ ; nous essayons de le devenir, avec plus de vérité jour après jour, appelés à maintenir une attention vigilante de l’espérance pour percevoir comment s’accomplit le dessein du Salut au cœur même du mystère du Mal.

C’est dans les souffrances et la mort de Jésus sur la Croix que s’accomplit la réalité la plus grandiose de l’histoire de l’humanité : la rédemption par les souffrances et par la mort de Jésus.

Il s’agit pour nous de discerner au cœur de l’extension du Mal, la floraison non moins réelle du Mystère du Salut dans un champ plein d’ivraie mais où doit grandir le bon grain, comme nous le dit l’évangile. Cette attitude, frères et sœurs, est la seule qui nous protège de l’amertume, du sentiment de frustration et du pessimisme ; et puis une attitude de vigilance, une attitude sereine face au mystère d’iniquité, qui traduit dans la vie quotidienne le refus que Dieu oppose au Mal, et accepter d’être nous-mêmes, d’une manière ou d’une autre, atteints et blessés par le mystère du Mal.

C’est vrai, Dieu aurait pu d’autorité bâtir un monde, créer l’homme dans l’incapacité à faire le mal. Il aurait pu mener l’être à un état de perfection dans lequel il n’y eut ni mort ni souffrance et où les hommes fussent attirés uniquement par le Bien. Certes, il aurait pu … mais ce n’est pas ainsi qu’il a voulu sauver le monde. Ce plan rationnel de la création où le mal et la souffrance seraient bannis d’autorité par Dieu, en reste à la sphère de la limitation humaine sans s’élever jusqu’à la conscience du sens de l’être intime, dans la mesure où ce sens est lié au mystère irrationnel de la liberté de pécher. Écarter le Mal du monde par la violence, par une contrainte extérieure, rendant le Bien nécessaire et inévitable, c’est aller à l’encontre de la dignité de toute personne.

Dieu Créateur, notre Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu manifesté en Jésus-Christ, n’a pas créé un monde qui fût parfait et bon par nécessité et par contrainte, car ce monde-là n’eût été ni parfait ni bon dans son fondement.

Selon le plan de la création, le cosmos est donné comme une tâche à accomplir, comme une capacité qui doit s’épanouir et se réaliser de manière créatrice et libre. La liberté, oui, cette liberté à l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, à l’image d’un Dieu qui est liberté, et qui nous communique cette liberté.

En cette année jubilaire placée sous le signe de l’Espérance, la Parole de Dieu, frères et sœurs, vient aujourd’hui dans notre chemin vers Pâques nous réconforter. Si l’espérance est capable de nous rendre joyeux, c’est parce qu’elle est assurée de la possession de la Béatitude. Pour cela, nous nous appuyons sur Dieu-même, sur sa puissance, sur son Amour, sur sa miséricorde, sur sa fidélité.

Fondée sur de tels témoignages, notre espérance ne peut connaître la faillite, car Dieu est présent dans le monde jusqu’à la fin des temps, jusqu’au retour du Christ dans la gloire, comme un Dieu proche qui aime avec nous, qui souffre avec nous, et qui a définitivement remporté la victoire sur le Mal, la souffrance et le péché, par sa mort et par sa résurrection.

C’est cela qui nous donne la paix. Amen.

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