Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes, nous dit le Sage. Pour illustrer la justice de Dieu, Jésus va développer une parabole en mettant en contraste deux personnages appartenant à deux groupes religieusement opposés. Celui des pharisiens fidèles observateurs de la loi, mais ne reconnaissant pas Jésus comme Messie et prophète, et celui des collecteurs d’impôts assimilés par les pharisiens aux pécheurs que Jésus est accoutumé à fréquenter. Pour que nous comprenions bien, Jésus introduit la parabole par une adresse qui peut être destinée à tout lecteur ou auditeur : « à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes, et qui méprisaient les autres. »

À travers ces deux personnages Jésus décrit deux attitudes : un pharisien qui se justifie lui-même des vertus qui l’animent, qu’il n’est pas injuste comme les autres hommes, et surtout qui rend grâce à Dieu qu’il ne soit pas comme ce publicain pécheur qui se tient non loin de lui. Mais qui peut se dire en vérité juste devant Dieu ? Indemne de tout péché ? Seul Dieu est juste, juste et saint, et seul Dieu peut justifier en vérité, mais non selon la justice des hommes. Jésus nous démontre que la justice de Dieu se penche sur le cœur des pauvres, sur le cœur des humbles, c’est-à-dire de ceux qui ont besoin de Lui, de sa force, de sa miséricorde, de son amour vivifiant, qui ont besoin de sa sainteté. Seul Dieu par la puissance de son Esprit, purifie nos cœurs et nous relie à sa vie.

Le publicain, par son attitude, en se présentant avec un cœur humilié et contrit, lance vers Dieu une prière de pauvre. Non seulement il se pose en vérité devant Dieu, mais aussi en espérance, car Dieu ne repousse pas un cœur brisé et broyé.

La prière du pauvre traverse les nuées, nous dit le Sage. Ce que désire le publicain c’est rétablir une relation avec Dieu, vivre à nouveau en présence de Dieu, non pas en ennemi mais en ami de Dieu. C’est cette réconciliation qui anime la prière du pauvre.

« Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. » nous dit par ailleurs Jésus.

Chez Dieu, il n’y a pas de position de surplomb, il n’y a que « l’être avec ».

Dieu ne veut pas notre anéantissement. Dans la dynamique du Dieu aimant et créateur, deux forces s’affrontent, et elles s’affrontent en nous. Il y a la force de ce que St Jean nomme l’esprit du monde, ce monde autoréférencé, égocentré dans sa sphère de convoitise et de pouvoir, et la force de l’Esprit, l’Esprit d’amour et de vérité. La force de la charité face à la force de la violence. La différence est que la force de la charité n’est pas une violence contre une autre violence, son reflet ou son mimétisme. La juste humilité est charité, elle va contre le goût de la mort qui habite toujours la violence, l’attrait du pouvoir, elle pousse à la générosité qui désire le déploiement de la vie.

Au cœur d’une juste humilité il y a une limite reconnue qui permet une communication. La communication, l’accueil d’autrui, la parole échangée, le respect, le service, sont l’expression de l’amour qui me signifie que je ne suis pas tout, que je ne suis pas « sans l’autre ». La vérité qui mène à l’humilité me dit que je ne suis pas l’image rêvée de moi-même, mais que je m’offre à une aventure qui m’apprend à me découvrir dans la relation à Dieu et à l’autre.

L’amour est au fondement, et il commence par le respect. Ce respect qui nous pose humblement l’un devant l’autre sous le regard bienveillant de Dieu qui nous mène ensemble.

La juste humilité nous fait mourir un peu à nous-même, pour nous faire naître plus haut, naître d’en-haut (Jn 3). Il s’agit d’une naissance hors de la loi de la mort. Une restauration de l’humain. Si la Parole de Dieu, l’Évangile semble exigeant : Renonce à toi-même, suis-moi, donne ce que tu as, c’est que le « moi » de l’homme est encore ami de la mort. Jésus veut nous faire quitter la mort. Le renoncement, l’écoute obéissante (de la foi), la dépossession font advenir un « moi », un ‘je’, qui n’a plus besoin de tuer, même de façon imagée, pour vivre. Le pharisien, sans le savoir, par son autojustification et son mépris des autres, impies, tue le publicain. Ce que Dieu opère en l’homme, c’est l’homme même à son Image.

L’humilité devant Dieu est entière élévation de l’homme. La Règle de St Benoît nous présente une échelle de l’humilité sur laquelle sont disposés divers degrés de croissance spirituelle, et les deux montants de cette échelle sont notre âme et notre corps en cette vie. Une échelle à laquelle on monte en descendant, en nous livrant en vérité à l’œuvre de l’Esprit Saint. « Qui s’abaisse sera élevé ». Cette image se réfère à l’échelle que Jacob vit en songe à Béthel, cette échelle qui reliait le ciel et la terre, le long de laquelle montaient et descendaient des anges (messagers) : « Ici est la maison de Dieu ». Cette image de l’échelle de Jacob est reprise par Jésus en Jean : « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » Jn 1, 51

L’échelle qui relie le ciel et la terre c’est Lui, Jésus, le Verbe de Dieu incarné, qui fait de notre monde le marchepied de Dieu, et qui fait de notre humanité l’échelle du Ciel.

Humblement nous témoignons qu’en quelque endroit de la terre que nous foulons, elle est le lieu de Dieu, et qu’en tout homme demeure une capacité d’être aimé, relevé. Oui, quand nous accueillons notre pauvreté intime, notre prière peut traverser les nuées et toucher le cœur de Dieu : là est sa justice. Dieu ne fait acception de personne.

 

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