Chers frères et sœurs,
L’évangéliste Luc vient de nous dépeindre une scène qui ne peut nous laisser indifférent. Nous aimerions bien que ce fût une parabole propre au passé, mais malheureusement elle nous semble toute aussi actuelle si l’on en juge les grandes disparités sociales et économiques qui traversent le globe jusque dans nos rues.
Ce tableau du riche nanti et repu, indifférent à autrui et ce pauvre Lazare agonisant sans un regard, sur son bout de trottoir, nous invite à réfléchir un peu plus en profondeur pour capter le message qui nous est livré.
La cause de ce drame semble être un cœur fermé à toute compassion, indifférent à l’existence d’autrui, un cœur dont le seul intérêt est son propre bien-être. Le Pape François fustigeait le grand mal de notre temps, la culture de l’indifférence. Cette indifférence qui étouffe tout lien d’humanité. L’indifférence creuse des fossés considérables.
La réflexion biblique au cours de son évolution est devenue plus critique sur la question d’une richesse perçue comme une bénédiction et critère de justice divine. Les prophètes alertent le peuple devant les disparités sociales comme étant le fruit d’une infidélité à la loi de Dieu qui prône l’équité et la justice. Les prophètes alertent sur le manque d’amour du prochain, la course aux richesses étant le plus souvent la cause de l’exploitation et de l’injustice. Par la bouche des prophètes, les pauvres et les petits deviennent les bien aimés de Dieu, ceux à travers qui un autre visage de Dieu se révèle, comme celui du « serviteur souffrant » dans le livre d’Isaïe. Dans la parabole de Luc celui à qui est rendu sa dignité, c’est bien le pauvre qui a un nom, et qui siège au rang d’honneur du banquet dans le sein d’Abraham. Oui, aux pauvres nous devons conférer une dignité. St Benoît dans sa règle, au chapitre de l’accueil dit bien ceci : « Ce sont aux pauvres et aux pèlerins surtout qu’on manifestera le plus d’attentions parce que c’est particulièrement en leur personne que l’on reçoit le Christ. Pour les riches, en effet, la crainte de leur déplaire porte d’elle-même à les honorer. »
Le personnage central du récit n’est cependant pas le pauvre Lazare. Si le personnage central était Lazare, la leçon de la parabole serait une invitation faite aux pauvres à supporter avec patience et persévérance leur sort misérable ici-bas dans l’espérance de l’au-delà. Vision des choses par exemple, qui a donné le flanc au discrédit d’une « religion opium » du peuple. C’est aussi face à cette critique, à l’ère de la grande industrialisation, que l’Église à la lumière de l’Évangile a élaboré sa doctrine sociale, afin de redonner toute dignité à la place de l’homme dans la vie publique, à ses activités et à la création qui l’entoure. La création de richesses ne se fait pas n’importe comment et à n’importe quel prix.
Les évangélistes et surtout St Luc insistent fortement sur le partage des richesses et le juste partage des biens de cette création, comme faisant parti de la véritable suite du Christ. « Faites- vous des amis dans le ciel avec l’argent trompeur » entendions-nous Dimanche dernier.
Il semble donc que la leçon ne se trouve pas dans le fait de supporter avec espérance, dans un certain fatalisme, un sort d’ici-bas en attendant le dénouement bienheureux de l’au-delà.
Le personnage central semble-t-il, serait plutôt le riche repus et indifférent qui nous renvoie à cette question de fond que Dieu adresse à l’homme dès les premières pages de la Bible : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »
Dans notre parabole, la présence du pauvre Lazare agit comme un miroir qui nous renvoie cette question qui résonne comme un écho incessant à travers l’humanité. Le plus beau révélateur des racines malades de notre cœur n’est-il pas caché derrière le visage du pauvre Lazare ? le Christ lui-même défiguré, qui de riche qu’il était s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté (2 Co 8, 9). Le Christ n’est pas qu’un « revenu d’entre les morts » qui nous porterait un message de l’au-delà, il est le vainqueur de la mort, le Vivant à jamais parmi nous. Il est la Parole vivante de Dieu qui traverse les Écritures et l’histoire sainte de la Révélation, comme se plaît à nous le répéter l’évangéliste Luc.
La parabole nous dit que pauvreté et richesse ne constituent pas des déterminismes irréversibles. Comme les cinq frères nous sommes invités à écouter la Parole vivante de Dieu dans sa globalité et à la mettre en pratique, alors le Ressuscité prendra une place nouvelle dans nos vies, dans notre foi et dans notre engagement chrétien, afin de faire disparaître les fossés qui nous séparent.



