Chers frères et sœurs,
Cet évangile de l’apparition de Jésus à sept de ses apôtres, un petit matin sur le rivage du lac de Galilée, évangile qui sera très probablement proclamé dans quelques jours à Rome à la Messe d’inauguration du pontificat du nouvel évêque qui aura été choisi par Dieu pour succéder à l’apôtre Simon-Pierre.
La lecture de cet évangile ce dimanche après Pâques nous interpelle et nous amène à méditer ensemble, si vous le voulez bien quelques instants, sur le mystère de Pierre dans l’Église. Le pontificat du Pape François qui vient de s’achever dans la lumière de Pâques, a donné une tonalité toute particulière à l’exercice du ministère pétrinien dans le monde contemporain, dont je voudrais ici rappeler quelques traits. Pour ceux qui voudraient mieux comprendre la signification de ces 13 années de pontificat, je vous engage vivement à lire sa très belle autobiographie qui est apparue il y a quelques semaines, intitulée « Espère ». Vous y comprendrez mieux – chacun d’entre nous comprend mieux – ce que François a voulu transmettre à l’Église durant ces 13 années de pontificat. Même si c’est paradoxal, nous comprenons mieux ce que le Pape a voulu transmettre maintenant qu’il est mort ou plutôt maintenant qu’il vit parmi nous d’une autre façon.
C’est curieux mais c’est ainsi, souvent l’absence d’une personne est plus révélatrice de sa présence que sa présence physique. Comme dit un auteur spirituel du Moyen-Âge en parlant de Jésus, « c’est en s’éclipsant qu’il se fait découvrir ». Et la foi c’est cela ! Marie de Magdala nous l’a rappelé en ses jours de Pâques : croire sans toucher est plus important que toucher pour croire. L’absence révélatrice de la présence !
La première chose que François nous rappelle, est que son ministère, de successeur de Pierre, qu’on appelle le ministère pétrinien, n’est pas semblable à une météorite qui tomberait subitement du ciel, mais qu’il s’inscrit « dans un long fleuve », dans une longue Tradition que nous appelons la Tradition apostolique. Par cette expression, nous voulons signifier que ce que François a vécu et transmis durant ses 13 années de pontificat, tient sa source dès son origine dans ce matin de Pâques à la résurrection de Jésus où par trois fois son Maître, son Seigneur, lui a posé la question : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment plus que ceux-ci ? » … Ceux-ci, ce sont les autres compagnons de Pierre ! Et où Pierre a répondu : « Oui Seigneur, toi tu le sais, oui je t’aime ».
S’il n’y a pas, frères et sœurs, cet amour personnel de Jésus à la source de toute action dans l’Église, alors toute action est fragile. Il est aussi réconfortant pour nous d’entendre Pierre dire à Jésus : « Toi tu le sais, je t’aime ». Car nous aussi, nous avons des doutes dans notre vie spirituelle sur l’authenticité de notre amour de Jésus … comme Pierre … car comme Pierre, nous sommes pécheurs nous aussi.
Nous l’avons parfois renié d’une façon ou d’une autre – renié non pas jusqu’à l’apostasie car si tel était le cas, nous ne serions pas ici ce matin – mais renié par ces petites lâchetés qui font que nous n’avons pas été toujours à la hauteur de ce que Jésus attendait de nous, depuis ce jour où baptisé dans son Esprit, Jésus a gravé en nous cette parole : « Tu es mon fils bien aimé, tu es ma fille bien aimée ».
Mais si nous avons conscience de nos lâchetés dans notre suite du Christ, cet évangile, frères et sœurs, nous réconforte aussi car comme Simon Pierre, nous entendons cette Parole de Jésus qui nous est aussi adressée : « Suis-moi ! ». Et là, nous faisons à notre tour l’expérience de la grande miséricorde de Jésus qui ne nous tient pas compte de nos faiblesses, de nos lâchetés ; car comme dit l’apôtre Jean : « Si ton cœur venait à te condamner, alors tu feras l’expérience que Dieu est toujours plus grand que ton cœur ».
Le Pape François fut le successeur de Pierre et à ce titre il s’inscrit, comme nous le disions il y a un instant, dans un grand fleuve que nous appelons la Tradition apostolique. Avant lui, le Pape Benoît XVI, saint Jean Paul II, Jean Paul Ier, saint Paul VI, saint Jean XXIII, pour ne citer que les plus récents, ont eux aussi fait l’expérience que l’appel qu’ils recevaient du Christ à devenir les Pasteurs de l’Église catholique, cet appel s’enracinait dans ce premier appel de Jésus que nous avons entendu ce matin dans l’évangile : « M’aimes-tu ? … Toi, suis-moi ». Le Concile Vatican II nous a souvent rappelé que toute réforme dans l’Église, quelle qu’elle soit, doit s’enraciner dans la source, dans ce premier appel qui a été prononcé par Dieu, qui nous a été transmis et que nous avons entendu : « Toi, suis-moi … m’aimes-tu ? ».
Un autre fruit du ministère de François a été de souligner la figure féminine de l’Église, en rappelant à plusieurs reprises que l’Église est mariale avant d’être pétrinienne. Marie l’Immaculée précède toute autre personne et bien sûr Pierre lui-même et les apôtres. Le Pape François citait souvent, comme l’avaient fait avant lui saint Jean-Paul II et Benoît XVI, un célèbre théologien du XXème siècle qui écrivait : « Marie est la reine des apôtres, sans revendiquer pour elle les pouvoirs apostoliques. Elle a autre chose et beaucoup plus ».
En ce mois de mai consacré à Marie (où nous la prions plus intensément), à celle qui est la Mère de l’Église, nous confions l’Église : nous lui demandons d’attirer l’Esprit Saint sur le prochain Conclave qui s’ouvrira dans quelques jours ; nous lui présentons tout le Collège des Cardinaux ; nous lui confions chacune de nos familles, nos communautés, afin qu’elle nous apprenne, comme elle l’a si bien fait durant toute sa vie sur Terre, à dire avec elle : « Je suis la servante du Seigneur ». Et puis encore, fondant sa voix dans celle de Pierre, elle qui n’a jamais connu le péché : « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime » … Amen ! Alléluia !
[1] Références textes liturgiques : Ac 5, 27b-32.40b-41 Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13 Ap 5, 11-14 Jn 21, 1-19 Aelf