Chers Frères et Sœurs,

A la question, qui peut être redoutable en soi : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? », Jésus ne répond pas en termes de nombre. Bien des sectes ou tendances sectaires ont été tentés de déterminer le nombre des élus, comme si le jugement sur le salut offert et opéré par Dieu était au pouvoir des humains. Seul Dieu est le juste juge, lui qui connaît le fond des cœurs, et qui seul connaît les profondeurs de sa miséricorde. Cependant il ne nous sauve pas sans nous, sans notre participation ou sans notre repentir. Dans l’histoire même de l’Église, il y a eu des périodes et des mouvements qui ont entretenus, ou peuvent encore entretenir des idées très élitistes et restrictives sur le sujet.

Jésus ne répond pas en termes de nombre. A la fin de notre passage d’évangile élargi le contenu : « on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. » C’est-à-dire de tous les peuples, de toutes les nations.

Cependant, il ajoute : « Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. » Dans d’autres passages d’évangile, Jésus sera encore plus provocateur : « Les prostituées et les collecteurs d’impôts vous passeront devant pour entrer dans le Royaume ». Aujourd’hui on appellerait cela, une punch line.

La vraie question est celle-ci : que fait-on de notre vie de chrétiens, que fait-on de notre vie de baptisés ; Tout comme le peuple élu, ou les maîtres de la loi qui pensaient que l’appartenance était une forme de garantie, nous pourrions penser que le simple fait de passer par les bancs de l’Église suffirait à honorer notre statut de baptisés.

Le baptisé a pour vocation d’être avant tout un témoin de Jésus dans le monde. Cette vocation le prophète Isaïe le faisait déjà entendre lorsqu’il prophétisait l’envoie des rescapés d’Israël, le petit nombre, vers les nations les plus reculées, vers les îles lointaines, pour annoncer la gloire du Seigneur. Oui, le chrétien est un témoin du Christ, de son amour, de sa miséricorde, de sa victoire sur toute forme de haine, de violence et de mort. Un témoin du Christ, là où il se trouve, dans sa vie sociale, familiale, dans son monastère ou son ministère, il y en a pour tous.

Ce témoignage de vie chrétienne, en esprit et en vérité, dira l’évangile de Jean, découle de l’appel universel à la sainteté, tel que l’a remis en valeur le Concile Vatican II. Cet appel à la sainteté concerne tous les baptisés, et plus largement tout humain.

Jésus nous dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite », plus littéralement, luttez pour entrer par la porte étroite. L’apôtre Paul parlera du beau combat de la foi. Cette lutte spirituelle dans laquelle nous pousse l’Esprit Saint, si nous l’écoutons, n’est pas qu’une lutte contre l’extérieur, elle est avant tout une lutte en nous même, dans nos cœurs et nos esprits, la sainteté prend racine en nous. La porte est étroite nous dit Jésus, mais la porte n’est pas fermée, elle le sera peut-être à la fin des temps, mais de cela nul ne connaît ni le jour ni l’heure, ni même le Fils nous dira Jésus. C’est encourageant, il est toujours temps d’y entrer.

Jésus nous dira aussi, qu’il est lui-même cette porte, non seulement la porte, mais aussi le portier, et même le berger qui nous y fait passer, car lui-même a ouvert la porte des Cieux et y est passé le premier. Si la porte est étroite, c’est que nous avons besoin d’un certain désencombrement pour y passer, et d’une certaine petitesse ou d’un certain dégonflement de nos égos. Le terme de sainteté peut nous faire peur, comme quelque chose de trop radical, trop haut, trop impossible. Mais la sainteté n’est autre que le désir d’imiter Jésus dans son chemin d’humanité, d’écouter ses enseignements et de s’efforcer d’en vivre. C’est un chemin de vie, un chemin de conversion permanente, qui peut aussi bien s’effectuer à travers des petites choses, c’est un état d’esprit animé par le don de Dieu par excellence répandu en nos cœurs, l’Esprit Saint, l’Esprit d’amour du Père et du Fils. Que nous apprend Jésus ? « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Le chemin de sainteté, c’est le verre d’eau fraîche que l’on offre à l’assoiffé, c’est le malade ou le prisonnier que l’on visite, c’est la main tendue à l’indigent, le pardon reçu et offert. Le chemin de sainteté, c’est la femme pècheresse qui baigne de larmes et de parfums les pieds de Jésus, à qui il lui sera tout pardonné parce qu’elle montré beaucoup d’amour. Le chemin de sainteté ce sont les humbles de cœurs, à qui appartient le royaume des cieux, les affamés et assoiffés de justice qui ne résignent pas aux iniquités de ce monde, ce sont les artisans de paix, qui ne se résignent pas aux guerres incessantes, nous pourrions allonger la liste et les exemples.

Dans sa règle des moines, qui n’est d’autre qu’un chemin de sainteté pour des hommes ou des femmes qui ont tout à apprendre de leur chemin de baptisés, Benoît écrit : « En effet, à mesure que l’on progresse dans la vie religieuse et dans la foi, le cœur se dilate, et l’on court dans la voie des commandements de Dieu, avec la douceur ineffable de l’amour. »

Oui, chers frères et sœurs, que nos cœurs se dilatent par la douceur ineffable de l’amour, quel que soit notre état de vie, sur les chemins du Christ.

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