Homélie du dimanche 30 août 2020 – 22ème Dimanche du Temps Ordinaire – Année A

Par le Frère Jean

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Chers frères et sœurs, il y a quelques années quelque part en France, une jeune fille passait un examen oral à l’université. Et après avoir répondu aux questions du professeur qui terminait en lui disant :

« Mademoiselle, c’est très bien, vous avez une très bonne note ; je suis en train de faire une petite enquête personnelle, est-ce que vous pouvez répondre à ma question ? »

« Volontiers, si je le peux » dit la jeune fille.

« Est-ce que vous êtes croyante ? »

« Oui, je le suis »

« Pouvez-vous me dire pourquoi vous êtes croyante ? »

Et cette jeune fille répondit avec la Parole de Jérémie que nous avons entendu dans la première Lecture :

« Tu as voulu me séduire, Seigneur, et je me suis laissé séduire »

Je dis ça, non pas pour montrer que cette jeune fille avait un peu de culture biblique, mais pour dire que la foi chrétienne procède par attraction et par séduction.

Non pas « séduction » au sens mondain du terme ; « séduction » au sens biblique : pour se prosterner devant Dieu, pour suivre Dieu en Jésus-Christ, il faut d’une façon ou d’une autre avoir été séduit par le Christ ; et non pas séduit à la façon du monde dans laquelle Simon-Pierre va tomber aujourd’hui, lorsqu’il va répondre à Jésus :

« Non ! Le passage par la croix, la souffrance que tu prédis ; surement pas ! »

Et Jésus lui répondra de façon cinglante :

« …derrière moi Satan ! Tes pensées (tes vues) ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. » Ce même Simon-Pierre, qui nous l’avons entendu il y a une semaine, avait fait cette magnifique confession de foi sur laquelle repose toute la vie de l’Église :

« Tu es le Messie, le Christ, le fils du Dieu vivant ».

Voici qu’aujourd’hui Simon-Pierre tombe dans cette vision mondaine de la suite du Christ qui fera dire à St Augustin de façon lapidaire comme il en a le secret :

« Pierre est heureux quand il écoute Dieu, il est Satan quand il pense comme un homme ».

Et Jésus de poursuivre :

« Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Quiconque perd sa vie à cause de moi, la trouvera. »

On entend parfois reprocher à l’Église, à tort ou à raison, de ne parler trop souvent que de la croix et du péché.

C’est alors une interpellation pour ceux qui ont mission dans l’Église d’enseigner, de transmettre la foi, et peut-être que – et c’est le côté surement positif et vrai de ce reproche – nous n’avons pas suffisamment prêché, annoncé, que si Jésus a pu marcher vers la croix, c’est parce qu’Il se savait indéfectiblement aimé de son Père. Et que la croix détachée de l’amour, effectivement, n’a pas de sens !

Apprenons d’abord à l’homme qu’il est aimé du Père, alors il pourra peut-être mieux accepter, voire embrasser, le Mystère de la Croix !

C’est qu’en effet, frères et sœurs, le Mystère de l’accomplissement douloureux de la mission de Jésus ne doit être sacrifié à aucune vue erronée, visant à rendre le christianisme, soi-disant, plus attrayant pour le monde d’aujourd’hui en supprimant la Croix.

La réponse que fit le Seigneur, à la requête des fils de Zébédée (de pouvoir trôner un jour à ses côtés, l’un à sa droite, l’un à sa gauche) demeure une Parole-clé pour la foi chrétienne :

« Le Fils de l’homme lui-même, répond Jésus, n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude»

…et la donner de façon douloureuse par le Mystère de sa mort et de sa souffrance.

C’est qu’en effet pour Jésus – et c’est tout le paradoxe de la vie chrétienne, et les Évangiles sont remplis de paradoxes – de même que ce qui est grand, puissant, c’est ce qui est petit et que la petite semence est la chose vraiment grande ; de même, nous dit Jésus : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra » mais qui perd sa vie à cause de Lui, la gardera.

Et là il faut insister sur le « à cause de Lui » : à cause de Jésus.

Ces Paroles, que nous avons entendues dans l’évangile de ce jour, ont un retentissement particulier en cette période de pandémie que nous traversons.

Nous pouvons avancer sur ce chemin tracé par Jésus, à sa suite, car, comme dit St Augustin, en une période où le monde romain (où il vivait) était fortement en train de s’ébranler, de disparaitre :

« Voici, écrit Augustin, que le monde passe et s’effondre mais le chrétien reste debout car le Christ ne passe ni ne s’effondre ! »

Et bien, nous aussi, frères et sœurs, qui faisons l’expérience d’un monde, qui, par bien des côtés, s’effondre, nous pouvons dire dans la foi, dans la fragilité et dans la faiblesse de notre condition humaine, mais dans la force de la foi de l’Église :

Le chrétien reste debout car le Christ ne passe ni ne s’effondre !

Cette Parole de Jésus à Pierre qui retentit : « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » doit être une interpellation pour nos consciences. Nos pensées sont-elles vraiment, s’efforcent-elles d’être sous la mouvance de l’Esprit de Dieu ?

« Mes pensées, nous dit Dieu dans un psaume, ne sont pas vos pensées ! »

La vie de prière, les sacrements, la vie fraternelle, nous sont un secours indispensable pour cette transformation intérieure de nos pensées à laquelle nous sommes appelés… pour passer de l’homme ancien à l’homme nouveau !

St Paul nous l’a rappelé « Ne tenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser ». Cette injonction de Paul est une Parole-clé de la vie chrétienne. Le mot « renouveler » qu’il emploie, ce mot implique un changement de mentalité, une métanoïa, c’est-à-dire une conversion du cœur et de l’intelligence. Il s’agit d’adopter les sentiments du Christ, d’être remodelé à sa ressemblance, de lui être conformé dans sa mort et sa résurrection.

Tout cela est impossible à l’homme livré à ses propres forces.

Comme dit encore Paul dans la Lettre aux Romains : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de la miséricorde de Dieu. » Cela est l’œuvre du St Esprit en nous.

Car pour nous, comme pour Pierre, la croix, sous quelque forme qu’elle se présente en nos vies, nous répugne.

Or, il n’y a fondamentalement qu’une seule liberté (et l’Évangile est là pour nous le dire, et la vie de l’Église) : c’est la liberté de la croix !

Cette liberté est celle qu’éprouve celui qui s’est complètement abandonné avec le Christ crucifié et ressuscité, celle qui nous est communiquée par l’Esprit Saint.

Quel que soit le genre de vie que nous menons dans le monastère, dans la vie familiale, dans la société ou dans la vie sociale, notre foi chrétienne implique toujours d’une façon ou d’une autre, une rupture avec l’esprit du monde, qui est si souvent en contradiction, voire en opposition, avec l’Esprit de l’Évangile.

Et pourtant, il n’y a pas deux mondes dont il faudrait mépriser l’un pour gagner l’autre ; « mépriser la cité terrestre pour entrer dans la Cité du ciel » comme dit encore St Augustin.

C’est le monde où nous sommes qu’il s’agit de diviniser, d’évangéliser !

Il n’y pas deux vies, celle de maintenant qui ne devrait compter pour rien et celle d’après à laquelle il faudrait sacrifier la première.

C’est la vie ici-bas qu’il s’agit d’éterniser en faisant des passions (en ordonnant les passions), en faisant des passions « le clavier des vertus », pour reprendre l’expression d’un spirituel de notre temps.

Oui, frères et sœurs, ce monde où Dieu nous a voulu par amour, est aussi un monde à aimer parce qu’il est à sauver.

« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en Lui ait la vie éternelle. »

« Vous aimez le monde, dit St Augustin, mais il faut lui préférer Celui qui a fait le monde. Nous sommes dans un monde qui est saint, poursuit l’évêque d’Hippone, qui est bon, réconcilié, sauvé, ou plutôt qui doit être sauvé, mais qui est sauvé dès maintenant en espérance. »

 Oui, notre vocation chrétienne est vocation au bonheur, un bonheur qui trouve sa source dans la marche à la suite de Jésus, mort et ressuscité, dans l’imitation du Christ ; Il est toujours celui qui vient à notre rencontre, à la rencontre de tous les hommes car Il veut que tous les hommes parviennent à la plénitude de la connaissance de Dieu, à la plénitude de la vie éternelle.

« À lui soient tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. »

Amen !

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