Homélie du dimanche 17 octobre 2021- 29ème Semaine du Temps Ordinaire – Année B

Par le Frère Jean

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Chers frères et sœurs,

La Parole de Dieu de ce dimanche nous parle à plusieurs reprises de la souffrance.

Souffrance de ce personnage mystérieux, au chapitre 53 d’Isaïe en première Lecture, dont on nous dit que « s’il fait de sa vie un sacrifice d’expiation, il verra sa descendance » et que «  à cause de ses souffrances, il verra la lumière » ; puis l’auteur de la Lettre aux Hébreux nous parle de Jésus, le Fils de Dieu qui en toutes choses a connu l’épreuve comme nous. – autrement dit : la souffrance. Et dans l’évangile, Jésus lui-même, nous venons de l’entendre, dit que « le Fils de l’homme est venu donner sa vie en rançon pour la multitude »… sacrifice d’expiation.

Connaitre l’épreuve, donner sa vie en rançon : voici l’identité que Jésus révèle de lui-même et qu’il offre à ses disciples en leur demandant de le suivre sur ce chemin.

Posons-nous franchement la question : le christianisme serait-il la religion de la souffrance ? (comme on lui en a fait, parfois et encore aujourd’hui, le reproche)

La souffrance humaine, qu’elle soit corporelle, psychique ou spirituelle, est-elle inhérente à la voie chrétienne ? Faut-il souffrir – et encore, et toujours souffrir – pour être un vrai disciple du Christ ? La réponse comme en toutes choses demande des nuances.

La vie de Jésus elle- même, a connu la souffrance : à peine né, voici que Joseph et Marie doivent fuir en toute hâte en Égypte car Hérode cherche à tuer l’enfant. Durant sa vie publique, Jésus, incompris par certains membres de sa famille qui le prenait pour quelqu’un qui a perdu la tête. Dans son village même de Nazareth, là où il a grandi, on cherche un jour à mettre la main sur lui et à le précipiter du haut de la falaise. Et puis sa Passion ô combien douloureuse, son arrestation, la fuite de ses plus proches, les apôtres, sa flagellation, son couronnement d’épines, le portement de sa croix et sa crucifixion entre deux larrons : la mort la plus humiliante qu’il soit.

Et cette parole de Jésus qui ne cesse de retentir dans l’évangile : « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

Alors, pourquoi ce chemin enduré, vécu par Jésus, doit-il devenir le nôtre ? Comme si sa souffrance à lui, ne suffisait pas pour racheter le monde une fois pour toutes, comme nous l’enseigne St Paul et toute la Tradition de l’Église.

Avec Cyprien Norwid, le poète polonais, nous pourrions dire que « nous ne marchons pas à la suite du Sauveur en portant sa croix mais nous suivons le Christ qui porte la nôtre ! ».

Suivre le Christ sur le chemin qu’il a tracé pour nous, c’est devenir plus homme, nous dit le Concile Vatican II que je cite :

« Quiconque suit le Christ, Homme parfait, devient lui-même plus homme ». Jésus a voulu que nous prenions notre part du salut – ce que nous appelons la rédemption – qu’il nous apporte en prenant notre humanité.

« Dieu qui ta créé sans toi, dira St Augustin, ne te sauve pas sans toi ! »

Le Christ est la tête de l’Église et son corps est intimement lié à lui. Il souffre quand la tête souffre, il exulte de joie quand la tête est dans la joie. La marche à la suite du Christ ne nous fait pas faire l’économie d’arrachements douloureux. Nous connaissons la tentation de nous dire parfois que Dieu n’en demande pas tant, que le bons sens et la raison doivent tempérer les sentences évangéliques trop radicales ; alors imperceptiblement, le champ de vision et le courage de l’être chrétien s’effritent. Être disciple, c’est mener sa vie d’homme en relation étroite avec le Christ ; c’est entrer en chemin avec Jésus, comme nous pouvons, au rythme que nous pouvons, avec notre histoire, avec notre culture, avec nos moyens, avec nos fragilités personnelles mais avec la capacité de constamment réactiver ce chemin que nous parcourons, avec l’assurance que le Ressuscité lui-même rend fécond ce chemin.

Par sa mort, frères et sœurs, le Christ n’a pas seulement vaincu le péché, il a aussi donné un sens nouveau à la souffrance, y compris à la souffrance qui ne dépend du péché de personne ; il en a fait un instrument de salut, un chemin vers la résurrection et vers la vie. Le sacrifice de Jésus agit non pas à travers la mort mais à travers le dépassement de la mort qu’est la résurrection : « il a été, dit Paul, livré pour nos fautes et il est ressuscité pour notre justification ». Ces deux évènements sont inséparables dans la pensée de Paul et de l’Église : livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification.

Ce chemin, cette voie chrétienne, demandions-nous il y a un instant, n’est-il que souffrance, que chemin de croix ?

Laissons la parole à quelques saints :

« Suivre le Christ en portant sa croix, dit Marthe Robin, ce n’est pas mettre des boulets à ses pieds mais des ailes à son cœur, du ciel dans sa vie ! ».

Et St Bernard de Clairvaux nous dit : « Ne pose pas de question, ô homme, sur ta propre souffrance mais sur ce qu’il a souffert, Lui, le Christ ».

Et le converti Léon Bloy au siècle passé écrivait que : « Tout homme a des endroits de son propre cœur qui n’existent pas encore, et où la douleur entre afin qu’ils soient ! »

Parler de la souffrance, frères et sœurs, demande pudeur et discrétion, surtout lorsqu’on est affronté à celle du prochain. Mais la souffrance du Christ peut être regardée avec amour et avec reconnaissance, parce que la sienne est rédemptrice, parce qu’elle nous sauve ; cela veut dire qu’elle nous guérit, qu’elle nous manifeste l’amour de Dieu pour nous.

« L’extrême grandeur du christianisme vient de ce qu’il ne cherche pas un remède surnaturel contre la souffrance mais un usage surnaturel de la souffrance » écrivait la philosophe juive Simon Weil.

On a pu parler à la suite de St Paul, d’une science de la Croix ; cette science qui faisait dire à Ste Thérèse Bénédicte de la Croix, Édith Stein : « Elle est inscrite dans le corps mystique que nous formons, unie au Christ-Tête ».

Il faut cependant se garder de toute forme de dolorisme, en particulier de cette tendance à diviniser la souffrance. Plus que jamais, il faut rappeler avec la carmélite Ste Thérèse des Andes, que « Dieu est joie infinie ! ». Et citons le fameux mémorial de Pascal dans cette nuit de feu qu’il vécut le 24 novembre 1654, où à la fin de son mémorial, Pascal, qui pendant des années s’était battu pour découvrir le vrai visage de Dieu, rencontre Jésus en vérité, et écrit ces lignes : « joie, joie, joie, pleurs de joie… renonciation totale et douce… éternellement en joie, pour un jour d’exercice sur la terre ! »

La joie qui nous vient du Christ nous donne allégresse mais elle peut cohabiter avec la souffrance… joie et souffrance ne sont pas incompatibles ; elle nous donne la capacité de souffrir et, dans la souffrance, de rester profondément joyeux.

Jacques et Jean dans l’évangile de ce jour, ont compris cela en vivant aux côtés du Christ et l’Esprit Saint a poursuivi en eux, après la Pentecôte, l’intelligence du mystère de la Croix où Jésus les appelait à s’engager.

À l’inverse du bouddhisme qui cherche à évacuer la souffrance, le christianisme, lui, laisse un espace à la souffrance des hommes, non pas pour l’expliquer ni pour l’accepter comme une chose inévitable mais pour l’accueillir : « Venez à moi vous tous qui souffrez et je vous apporterai le repos ! »

« Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu l’expliquer mais il est venu la remplir de sa présence » disait Paul Claudel.

La célébration de cette Eucharistie nous fait entrer dans ce grand mystère dévoilé, révélé, en Jésus Christ mort et ressuscité pour notre salut.

Amen !

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