Homélie du dimanche 11 septembre 2022 – 24ème Dimanche Temps Ordinaire – Année C

Par le Frère Jean

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Chers frères et sœurs, ces trois paraboles soigneusement ciselées par st Luc, que nous connaissons bien, que nous aimons bien, celle de la brebis égarée, celle de cette femme qui recherche la pièce qu’elle a perdue et lorsqu’elle l’a retrouvée, invite à faire la fête, et la plus connue probablement que nous entendrons à nouveau le Carême prochain, au cinquième dimanche de Carême de l’année C, et qui illustre particulièrement bien la période liturgique du Carême, celle dite de l’enfant prodigue ou mieux encore, du Père miséricordieux.

Cette parole qui est si bien illustrée par ce tableau de Rembrandt où nous voyons les grandes mains du Père qui enveloppent les épaules de son fils retrouvé. Mais il ne faut pas oublier que les représentations les plus anciennes de Jésus, dans l’Église chrétienne, sont sous les traits du Bon Pasteur, le Bonus Pastor ; dans les catacombes de ste Priscille à Rome qui datent du 1er siècle, on représente Jésus sous les traits d’un pasteur jeune et imberbe (je ne ferai pas de commentaire sur ce deuxième trait du Christ imberbe !)

Cette attitude de l’enfant prodigue ou repentant qui se jette dans les bras du Père : que de convertis illustres ou inconnus pourraient en témoigner pour avoir vécu la même expérience. A commence par st Paul, nous avons entendu « moi qui ne savait que blasphémer… le Christ m’a pardonné… ce que je faisais, c’était par ignorance ».

Cette parabole est une belle illustration du repentir ; permettez que je fasse un instant l’éloge du repentir. Le repentir qui est une attitude du cœur, un retournement du cœur qui reconnait devant Dieu, sa faute, son péché, et qui se tourne vers lui, comme dit le psaume 50, avec un cœur brisé et broyé. Comme David dont nous disent les constitutions apostoliques écrites au IIème siècle dont nous avons entendu un passage à l’office monastique ce matin, non seulement Dieu accueille ceux qui se repentent, mais de plus, il les rétablit dans leur ancienne dignité. Le saint David en témoigne suffisamment, lui qui après son péché contre Urie, priait en ces termes : « Ne me rejette pas loin de ta face ; ne me retire pas ton Esprit Saint ». En effet, la Tradition attribue à David lui-même, la rédaction, la composition, du psaume 50. Et puis Pierre après son reniement : « Et voici que Jésus s’avance vers lui en père miséricordieux : « Pierre m’aimes-tu ? Sois le berger de mes brebis ! » »

La liturgie du Carême, particulièrement en Orient, nous fait demander à Dieu les larmes du repentir ; voici une belle demande à faire au Seigneur : les larmes du repentir. On pense à la pècheresse anonyme du chapitre 7 de st Luc, qui au scandale de son entourage, se met aux genoux de Jésus et après avoir oint ses pieds d’un parfum de grand prix, les essuie de ses cheveux avec larmes : les larmes du repentir ! Celui qui n’a jamais connu les larmes du repentir dans sa relation avec Dieu, n’a probablement pas découvert avec suffisamment de profondeur, qui est Jésus, qui est le Père, qui est le Saint Esprit.

Combien de fausses images, frères et sœurs, nos contemporains et certainement nous-mêmes parmi eux, véhiculons une fausse image de Dieu que nous avons continuellement à rectifier tout au long de notre vie.

Le repentir ne signifie pas seulement qu’un homme comprend le mal qu’il a fait, qu’il prend la résolution pour se convertir, pour se changer – toutes choses très bonnes… le repentir, semble-t-il, est plus que cela. Il est un recours au Dieu vivant dont aucun mal ne peut s’approcher ; mais il est en même temps l’Amour, le Créateur, qui a le pouvoir non seulement de créer l’homme pour qu’il soit, mais de re-créer l’homme. Le repentir est un recours au mystère le plus profond de la force créatrice de Dieu. Car le repentir ne masque pas la faute ; au contraire, il est vérité ; le repentir veut voir ce qui est comme il est.

Nous pensons spontanément que pour être un bon chrétien, il faut aimer le Seigneur et ses frères, et le ressentir, tout cela est vrai. Mais il ne faut pas télescoper trop vite l’étape nécessaire au cheminement du Salut, à savoir : le repentir. Le service de Dieu, nous le savons, c’est la parfaite liberté et non un esclavage. L’enfant prodigue qui dépense de façon futile tout son bien, est esclave de ses passions, de ses pulsions, mais le fils ainé qui pense être un fils parfait, parce que, je le cite : «  voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres » (c’est-à-dire, je suis un type bien !), et bien, lui aussi est esclave, non de ses passions… est esclave de ce qu’il croit être son impeccabilité, sa justice. Or, nul n’est juste aux yeux de Dieu, nous dit st Paul dans la Lettre aux Romains. L’enfant dit prodigue, comme le fils ainé, l’un et l’autre, ont besoin d’avoir un cœur broyé devant Dieu. Et le fils ainé, ce n’est pas parce qu’il est resté à la maison qu’il est meilleur que son frère.

Je vais peut-être m’avancer, mais il me semble pouvoir dire que dans toute vie spirituelle, il faut connaitre ces deux étapes pour arriver à maturité, à la liberté spirituelle : l’étape du repentir et l’étape de la réconciliation, des larmes du repentir. Si Simon Pierre n’avait pas renié le Christ, peut-être n’aurait-il pas été capable de devenir le chef du collège apostolique ; si st Paul n’avait pas connu sa fougue qui l’a conduit à devenir un fanatique dans sa chasse au disciple de la voie chrétienne, il ne serait probablement pas devenu le grand apôtre des gentils que nous connaissons. D’ailleurs lui-même le dit : « Voici une parole sure et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, et moi le premier, je suis pécheur ». Alors qu’avant sa conversion, Paul se croyait un type très bien !

L’enfant prodigue ne cherche pas à se rendre favorable son père. Le plus noble repentir, la plus belle conduite chez un pécheur repentant et conscient de l’être, c’est un abandon sans conditions de lui-même à Dieu. Comme le dit st John Henry Newman : « Accablé de honte et du sentiment de son ingratitude, il lui faut s’abandonner à son juste souverain ». Et pour s’abandonner, il faut désarmer ; et pour s’abandonner, il faut pleurer. C’est seulement lorsque le chrétien a longtemps combattu le bon combat de la foi ; c’est lorsque par l’expérience, il sait combien sont peu nombreuses et imparfaites ses bonnes actions ; c’est alors qu’il est capable d’accepter avec joie cette affirmation : nous sommes sauvés par la foi, uniquement par les mérites de notre Seigneur Jésus Christ.

Il pensait aimer le Seigneur parce qu’il était un serviteur fidèle, il fait l’amère expérience, mais O’ combien salutaire expérience, qu’il est un pauvre pécheur. Et cette prise de conscience est la source de son salut et de sa joie.

Mais en rester là serait insuffisant : il faut que le cœur brisé s’ouvre totalement à la miséricorde de Dieu parce qu’il découvre, comme dit le psaume 50, la joie d’être sauvé ; et entendre en son cœur la Parole de Dieu : « Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maitre ». « Fidèle serviteur, non pas à cause de tes mérites aussi grands soient-ils, mais à cause de ma Passion que j’ai voulue pour toi, à cause de mes mérites, à Moi », dit le Seigneur.

Pour terminer, je voudrais avec un peu d’audace, esquisser un parallèle entre le fils prodigue qui abdique ses droits et l’attitude de Jésus, dont st Paul nous dit aux Philippiens : « Lui de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu mais il s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave ». Jésus en sa nature humaine, n’a pas connu les larmes du repentir car il est sans péché, mais il a connu d’autres larmes, et non pas moindres, il a subi la passion, la douleur, de nos péchés. « Jésus a versé pour moi telle goutte de sang ! » dira Pascal.

Sa venue sur la terre parmi nous, peut être regardée comme un exil en terre étrangère, comme l’enfant prodigue, car il a partagé notre humanité dans sa condition la plus tragique, celle qui conduit à la mort. Il s’est relevé de la mort dans un acte de parfait amour.

« Père en tes mains, je remets mon esprit ».

Et son Ascension auprès du Père fut dans le ciel une fête dont celle de la parabole de ce jour ne nous donne qu’une faible image ; à chaque instant de sa vie terrestre, Jésus était habité par cette Parole que murmurait en lui, son Père : « Mon enfant, toi tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi, est à toi ».

Et l’Esprit Saint, frères et sœurs, aujourd’hui, continue de murmurer dans le cœur de chacun de nous cette Parole : « Mon enfant, je suis toujours avec toi ; tout ce qui est à moi, est à toi ; et tout ce qui est toi est à moi ».

Amen !

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