Homélie du dimanche 11 octobre 2020 – 28ème Semaine du Temps Ordinaire – Année A

Par le Frère Jean

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Chers frères et sœurs,

Il est assez courant que lorsqu’un Frère de la communauté rencontre un groupe de jeunes ou même de moins jeunes, lui soit posée la question : « pourquoi êtes-vous devenus moine ? » ; « Comment cela s’est-il passé ? »

Et assez souvent, un peu plus tard, arrive la question : « y a-t-il des jours où vous en avez assez ? »

« Est-ce que vous n’avez jamais eu envie de partir ? De voir autre chose ?»

Questions stimulantes parce qu’elles nous permettent de saisir la balle au vol et de la renvoyer à l’auditoire : « Et pour vous, pourquoi êtes-vous chrétiens ? »

Quant à expliquer pourquoi je suis devenu moine, j’oscille pour ma part à m’en sortir, soit en répondant « que c’est là-haut qu’il faut demander ! » ; soit, si je suis mieux disposé, en parlant de ce que je voudrais dire dans cette homélie : à savoir que l’appel du Christ (à le suivre) est adressé à tous les baptisés.

Quels que soient leur âge, leur environnement familial ou socio-culturel. Mais qu’à certains, le Christ, comme Il l’a fait avec ses douze apôtres, demande de le suivre dans cette forme de vie que nous appelons : la vie consacrée ou la vie religieuse, qui n’a d’autre justification que la gratuité du Don de Dieu « qui fait bien toutes choses », comme Il veut, quand Il veut, et avec les personnes qu’Il veut.

En cela rien d’arbitraire chez Dieu ! Tout provient de l’abondance de sa miséricorde.

Si Saul, devenu l’apôtre Paul, a été saisi par la toute-puissance de la grâce, sur le chemin de Damas, et qu’avant lui, le prophète Isaïe a entendu la voix du Seigneur de gloire, entourée d’une myriade de Séraphins, il en est de même aujourd’hui pour tant d’hommes et de femmes, qui dans la « brise légère » d’un jour de grâce, ont compris qu’à eux-aussi, la Parole du Christ interpelle leur liberté la plus profonde :

« Toi, si tu veux, suis-moi ! »

Pour illustration, ce témoignage d’un homme contemporain qui vit aujourd’hui, qui est d’origine juive, et qui raconte en ces termes, sa conversion :

« J’étais à Jérusalem et j’ai rencontré Jésus. Il était seul, intériorisé en son vêtement blanc, aux abords de la ville, sur la colline face au Jardin des Oliviers. Je marchais vers Lui, Il m’accueillit silencieux. Je lui dis simplement : « j’ai le désir de venir à toi mais je suis dans un environnement familial où cela n’est pas possible » (en effet cet homme, comme je l’ai dit, était de famille juive) ; Jésus me répondit tout simplement : « tu viendras quand tu seras prêt ! ».

Cet évènement s’est passé en 1983 et c’est 17 ans plus tard que cet homme reçut le Baptême en l’an 2000.

Cet appel à le suivre et la radicalité de la réponse qu’il implique, frères et sœurs, n’est pas réservé à une élite qui se situerait au-dessus de la condition ordinaire.

Puisque tous les baptisés sont appelés à la sainteté, comme nous l’a rappelé avec force le Concile Vatican II, c’est-à-dire à la plénitude de l’accueil de Dieu et à la réponse qu’elle implique, il y a diverses façons, de multiples façons, de répondre à l’appel de Jésus : « Toi, suis-moi ! »

Mais l’expérience nous montre que, hier comme aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains n’entendent pas, ou ne veulent pas entendre, la voix de l’Esprit de Jésus qui ne cesse d’appeler : « Voici, j’ai apprêté mon banquet ; tout est prêt ; venez aux Noces ! »

Et comment se fait-il que tant trainent les pieds pour se rendre aux Noces ?

Hier comme aujourd’hui, nombreux sont ceux qui entendent l’appel mais « s’en allèrent », comme dit l’évangile de ce jour, sans en tenir compte… « l’un à son champ, l’autre à son commerce »… un autre encore à son management !

La question de fond qui est ici posée est celle de l’élection divine. Autrement dit : de l’appel adressé par Dieu aux hommes.

Dieu a appelé un peuple à le suivre : le peuple juif. Mais il n’y a peuple que s’il y a des personnes qui ont individuellement répondues au Seigneur « Me voici ! »

Et il faudra des siècles au peuple de Dieu pour comprendre la pédagogie divine : que Dieu appelait le peuple hébreux à le suivre, non seulement dans son ensemble, mais que chacune des personnes de ce peuple était appelée à répondre « Me voici ! »

Comme aujourd’hui, si nous avons été baptisés dans une église nationale, locale, une communauté paroissiale, une famille, chacun de nous, après le baptême, ratifie son baptême en disant « Me voici ! »

Il est aussi indéniable, et la Parole de Dieu le manifeste tout au long de l’histoire du Salut, qu’à certains, à certaines, un appel plus pressant à Le suivre est adressé.

Je retrouve ici la question que je m’entendais poser au début de cette homélie « pourquoi êtes-vous devenu moine ? »

Il y a quelques semaines, l’Archevêque de Paris, Mgr Aupetit, donnait la consécration à un groupe de jeunes femmes qui demandaient à recevoir la consécration qui les agrégeaient à l’Ordre des Vierges. Et à la fin de la célébration, après avoir consacré ses femmes qui rentraient dans l’Ordre des Vierges – dans une vie de célibat consacré à Dieu, dans la prière, dans la solitude – l’Archevêque de Paris achevait la célébration en leur disant : « Merci, chères Sœurs, d’avoir répondu à l’appel du Seigneur ».

Cette phrase pourrait paraitre un remerciement de convenance mais en y réfléchissant c’est plus important que cela.

« Merci, disait l’Archevêque, parce que c’est tout le Corps du Christ qui est enrichi par le Don que le Seigneur vous a adressé et que vous avez accueilli dans la foi ».

Ces réponses à l’appel du Christ ont valeur d’icônes dans l’Église. Elles nous montrent le chemin, le Royaume des cieux. Et nous pouvons pour notre part, légitimement croire que tous les « oui » petits ou grands que nous disons au Christ au fil des jours – le Christ qui nous rejoint au carrefour de nos chemins divers – tous ces « oui », comme pour ces jeunes femmes, construisent aussi le Corps du Christ.

L’Église est construite par tous ces « Oui, Seigneur ! Je suis décidé(e) à me rendre au banquet auquel tu me convies »

« La multitude est appelée, nous dit l’évangile, mais peu sont élus. »

Hier comme aujourd’hui, l’appel du Christ retentit dans nos assemblées.

« Qui veut choisir la vie, qu’il me suive ! »

Pour chacun de nous, il y a un nouvel appel à l’intérieur du premier appel de notre baptême. Un appel dans l’appel !

« Toi, suis-moi ! »

L’Écriture nous montre que Jacob a été choisi de préférence à son frère Ésaü. Et parmi les douze enfants de Jacob, ce ne sont ni Ruben, ni Benjamin, ni Joseph, qui est élu mais Juda dont l’Écriture nous dit « qu’il a trahi, assoiffé de sang ».

– Non pas le Juda, l’Iscariote, qui faisait partie des apôtres mais Juda, l’un des douze fils de Jacob. Juda de la tribu de Juda, dont sortira Jésus –

La Parole de Dieu souligne tout au long de l’histoire la gratuité et la liberté de l’élection divine. J’aime le titre de ce livre autobiographique du Cardinal Lustiger, né dans le judaïsme, devenu chrétien catholique à l’âge de douze ans et dont la biographie est intitulée : « Le choix de Dieu »…

« Le choix de Dieu »

Oui, ce choix de Dieu, cette élection divine, à l’égard de chacun d’entre nous, et de façon plus particulière sur certains, n’est pas déterminé par les qualités et les mérites, mais par l’amour prévenant et la fidélité de Dieu à son appel.

Ce que dit l’apôtre Jean de façon fulgurante : « Dieu nous a aimés le premier ! » C’est le Père qui nous attire vers son Fils et qui nous donne à Lui.

 « Le vêtement de noces, nous dit un Père de l’Église, représente la foi véritable, celle qui passe par Jésus-Christ et sa sainteté ».

Alors, Frères et sœurs, nous pouvons nous poser la question à la lumière de cet évangile : « qu’avons-nous fait du vêtement blanc des Noces de notre baptême ? »

Autrement dit : bien que le baptême « fait » le chrétien, il ne suffit pas de l’avoir reçu pour demeurer chrétien.

« Deviens ce que tu es ! »

Entretenir la grâce du baptême par une foi vive, par une charité agissante.

« Aujourd’hui, chantons nous dans le psaume 94 chaque matin, aujourd’hui, si vous entendez sa voix, ne fermez pas votre cœur ».

En effet, une des grandes tentations de notre temps, de la culture contemporaine, n’est-elle pas de réduire le Christ au christianisme ?

De remplacer le Christ par ce qu’on appelle les valeurs chrétiennes, qui souvent d’ailleurs, sont identifiées avec les valeurs universelles de la culture humaine ?

« Pour nous chrétiens, écris le Pape François, dans sa récente Encyclique, « Fratelli tutti », pour nous, chrétiens, nous ne pouvons pas cacher, que si la musique de l’Évangile cesse de vibrer dans nos entrailles, nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui nait de la confiance, la capacité de la réconciliation qui trouve sa source dans le fait de se savoir toujours pardonné et envoyé ».

« Venez, tout est prêt pour le festin de Noces »

Qu’il en soit toujours ainsi pour chacun de nous, Amen !

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